Audrey [00:00:08] C’est l’heure de la reco intello pour vous, j’ai épluché les programmations des musées, j’ai chiné les dernières sorties de bouquins et j’ai même passé en revue la liste des événements sur Facebook. Tout ça pour vous pondre une reco culturelle que même votre pote le plus artiste ne connaît pas. Alors attention, je suis ému·e d’avance rien que de savoir que je vais vous partager ce qui a été pour moi, la meilleure performance que je n’ai jamais vue de toute ma vie. Oui, rien que ça. Alors je ne sais pas si tu connais Rebecca Chaillon, mais c’est une des performeuse et metteuse en scène que je préfère. Elle apparaît dans le génialissime documentaire d’Amandine Gay « Ouvrir la voix » sur les femmes afro descendantes. Elle a aussi créé « La Compagnie Dans Le Ventre » en 2006. C’est une afro féministe, une militante queer d’origine martiniquaise, donc forcément, ça me parle. Elle travaille beaucoup autour des normes corporelles, du corps nu, de la nourriture. Et il n’y a pas longtemps, je suis allée voir une performance qu’elle a mise en scène et dans laquelle elle ne joue pas, ça s’appelle « Plutôt vomir que faillir ». C’est à propos de l’enfance, de la famille, de l’éducation, du corps, des injonctions, c’est un joyeux mélange qui part absolument dans tous les sens. Tu ris, tu pleures et en sortant de là, ma copine m’a fait promettre d’aller voir « Carte noire nommé Désir », c’est une autre performance qu’elle a écrite et elle m’a dit : » si tu as l’occasion d’aller la voir, vas-y ! » Alors malheureusement, vu que j’oublie tout, j’ai complètement zappé de checker. Mais puisque l’univers est bien fait, j’ai reçu par hasard une invitation pour cette pièce par email, de la part d’ami·e·s de Censored Magazine. J’y suis allée un peu naïvement, je n’avais pas vraiment regardé de quoi la pièce parlait en amont et j’étais sûre, par contre, de passer un bon moment, comme toujours avec Rebecca Chaillon. Pendant l’attente, il y a une voix préenregistrée qui donne des informations sur la performance. Alors, on nous explique qu’il y a des strapontins classiques où les spectateurs et spectatrices sont prié·e·s de s’asseoir. Et puis, de l’autre côté, un espace réservé dans la salle. Mais réservé à qui ? Aux femmes et aux personnes non binaires, noires. Alors là, première surprise, mais je ne m’éternise pas trop dessus. Puis, en rentrant, on me propose directement d’aller m’y asseoir. Et effectivement, juste en face des strapontins de part et d’autre de la scène, à hauteur du public, il y a un espace qui dénote dans la salle avec des gros fauteuils, des gros canapés très confortables réservés aux femmes et personnes non binaires afro descendantes. Donc avec mes potes, on est super content et contente. On y va, on se dit que c’est une super bonne idée pour une pièce qui traite de nous et finalement, de nous offrir un peu cet espace en non-mixité. Je ne savais pas vraiment ce qui allait nous attendre, mais je ne veux pas trop en dire pour les personnes qui voudront y aller, je ne veux pas spoiler, mais sachez simplement que cet emplacement, il est clé dans le spectacle et il compte vraiment. En fait, ce n’est pas juste du décor.
Mahaut [00:03:03] Vous êtes devenu·e·s des personnages principaux au bout d’un certain temps ?
Audrey [00:03:03] Je ne dirai rien. En tout cas, « Carte noire nommé Désir » c’est vraiment un ovni de performance. Je n’ai vraiment pas vu passer les 2h40 et je ne vais pas tout révéler, mais en résumé, c’est une carte blanche (petit jeu de mots avec le titre de la pièce), avec huit interprètes afro descendantes qui mêlent chant et humour. Il y a des textes politiques et des textes poétiques sur tous les stéréotypes que les femmes noires peuvent vivre au cours de leur vie. Il y a beaucoup d’interactions avec le public. Il y a des performances circassiennes, il y a un décor comestible et j’en passe, il y a beaucoup de surprises, beaucoup de mystères. Je laisse planer le doute. Et le thème principal de la pièce, c’est la vision coloniale et occidentale du corps des femmes noires, sa fétichisation, son objectification et sa sexualisation.
Extrait interview Rebecca Chaillon [00:03:58] « […] Une performance qui serait une sorte de conte afro fantastique où les corps sont très engagés et où on parle de notre expérience de femme noire ou en tout cas, où on essaye de se projeter dans quel serait un avenir possible et comment, on a pu se construire quand on était en France en tant que femme noire. »
Audrey [00:04:18] Alors, comme l’explique Rebecca Chaillon, le titre est un clin d’œil ironique à une pub des années 90 de la marque de café « Carte Noire ». En fait, c’est un parallèle avec tous les qualificatifs liés à l’alimentation qui sont souvent utilisés envers les femmes avec la peau noire, par exemple « cacao » ou « caramel ». C’est aussi un rappel au commerce du sucre, du café et du cacao qui a asservi les esclaves et leurs corps. En plus, comme Rebecca Chaillon est quelqu’un qui aime beaucoup travailler autour de la matière et de la nourriture, tout ceci fait sens. Donc, on est tous et toutes sorti·e de là, complètement abasourdi·e, avec tellement d’amour et d’idées en tête. C’était super beau, c’était nécessaire comme pièce et je conseille à absolument tout le monde d’aller la voir. Pour l’instant, pas de date prévue à Paris en 2023, mais il y a plusieurs dates partout en France et ailleurs : du 8 au 10 février à Toulouse, les 15 et 16 février à Bruxelles, du 21 au 23 février à Besançon, du 28 février au 3 mars à Tours, le 7 mars au Mans et les 16 et 17 mars en Suisse.