1W : Dans cet épisode sont évoqués de la maltraitance et des violences conjugales. Assurez-vous de l’écouter dans de bonnes conditions.
-Rencontre avec la famille d’Augustin
FAMILLE – Bonsoir !
AUGUSTIN – Coucouuu Charlotte, voici Rozenn. Rozenn, Charlotte.
ROZENN – Enchantée. Merci beaucoup d’être venus un peu plus tôt pour l’enregistrement.
AUGUSTIN – Est-ce que tu trouves qu’il y a un air de famille?
ROZENN – Entre vous quatre? Euh… Du coup, je ne sais pas trop quoi répondre. J’ai trop lapression là. Bah un petit peu, mais ce n’est pas non plus flagrant. C’est pas flagrant, non.
AUGUSTIN – T’as vu? Facteur. C’est le facteur.
CAPUCINE, grande soeur d’Augustin – On est en effet bien différents.
GÉNÉRIQUE
-Entretien avecAugustin, ancienne maisonfamiliale
AUGUSTIN – On va arriver dans mon ancienne maison. Voilà, c’est cette maison-là. Donc tu vois,maison classique du Nord, hyper haute. C’était une grande maison, du coup elle était super froide. Et de toute façon, les souvenirs ne sont pas bons dedans. C’est ce qui fait qu’on a l’impression… Qu’on a que des souvenirs froids dedans. Surtout, c’est la maison où, moi, j’étais perdu sur ma sexualité pendant un moment. C’est un peu la maison où on était perdu sur tout, en gros. C’était une maison de paumés.
ROZENN – Du coup, c’est la maison où vous viviez au moment de La Manif pour tous, aussi ?
AUGUSTIN – Ah bah oui. C’est de là que c’est parti. Dans l’entrée, il y avait un grand porte-manteau et des années après, il y
avait encore les drapeaux qui étaient enroulés autour du porte-manteau. Enfin, on avait gardépas mal de goodies de la Manif pour tous qui traînaient sur ce porte-manteau-là, à l’entrée. Ça accueillait les gens, des petits drapeaux roses et bleus, des drapeaux français. (pause) Et oui, ça partait de là.
VIRGULE MUSICALE
-Entretien avec la famille d’Augustin
CHARLOTTE, grande soeur d’Augustin – Pour moi, on défendait la vision du mariage tellequ’elle était jusque là dans la loi et dans une certaine forme de tradition aussi. Et donc, je pense que dans ma tête, et jusqu’à très récemment, c’était vraiment juste, voilà, on défend cette vision-là du mariage. Mais on ne va pas… On ne va pas dans le but d’être contre une union pour leshomosexuels. Peut-être plus dans le but de réfléchir à, oui, effectivement, ils pourraient avoir le droitde s’unir, mais il faudrait peut-être pas que ça s’appelle« mariage ».
ISABELLE, mère d’Augustin – C’est vrai que c’est peut-être de la naïveté, je ne sais pas du tout, mais je n’avais pas du tout conscience d’être là contre des droits offerts à des gens. Pas du tout. Moi, jene manifestais pas contre, je manifestais pour et c’est vrai ! Alors, c’est certainement une grandenaïveté de ma part et je suis un peu dans le monde…
AUGUSTIN – Voire de la mauvaise foi quand même.
ISABELLE -Je ne pense pas non (rire).
AUGUSTIN – Tu savais quand même pourquoi tu allais manifester. Le but à la fin, c’était d’obtenir le retrait de la loi, c’était évident…
ISABELLE – Oui, mais c’était pas forcément d’empêcher les gens de s’unir! C’était d’empêcher les gens de se marier, oui. Et après effectivement, de préserver les enfants. Parce que moi, je défendais un modèle familial dans l’altérité, c’est-à-dire qu’à partir du moment où on a des enfants, c’est avec un papa et une maman.
VIRGULE MUSICALE
- Entretien avec Alain Ducousso-Lacaze
ALAIN DUCOUSSO-LACAZE – Je suis Alain Ducousso Lacaze, je suis professeur de psychopathologie clinique à l’Université de Poitiers. Je suis psychanalyste par ailleurs, et ça fait une bonne quinzaine d’années que je travaille sur l’homoparentalité. Cette formule qui consiste à dire quedans les couples homosexuels, si on prend le couple homosexuel par exemple, l’altérité ne serait pas à l’œuvre, c’est une manière de rabattre la question de l’alterité, du rapport à l’autre en tant que différent, sur une question anatomique. C’est extrêmement simpliste. J’ai rencontré pour mes travaux beaucoup de couples homosexuels. Il est bien évident que l’on rencontre des personnes qui sont différentes, qui se représentent comme différentes l’une de l’autre. Il peut y avoir des couples dans lesquels la reconnaissance de cette différence est compliquée, mais comme il y en a dans les couples hétérosexuels, c’est-à-dire que le fait d’être de sexe différent ne garantit pas que l’on reconnaît l’autre comme différent de soi, qu’on lui accorde une altérité.
- Déjeuner avec Augustin
ROZENN – Elle, elle pense que l’altérité c’est très important, donc d’avoir un homme et une femme présents dans sa vie tout le temps.
AUGUSTIN – Enfin, je ne veux pas l’embrouiller, mais il n’y a aucune altérité dans la façon dont moi j’ai grandi. Ma mère, elle a pris toute la place. Le truc, c’est qu’à chaque fois qu’on a ce débat, ça part en truc super personnel parce qu’elle dit « nana, il faut un père et une mère », mais moi, si j’avais eu qu’une mère et que mon père n’avait pas existé… Bon, on s’en serait moins bien sortis financièrement, tout ça. Mais je veux dire, si on avait enlevé tout ce qu’il a apporté de merde à partir dumoment où ils se sont séparés, je serais quand même beaucoup plus épanoui aujourd’hui, sûrement.
-Entretien avec lafamille d’Augustin
ISABELLE – Aujourd’hui, on ne sait pas. Alors oui, on va trouver des psychiatres qui vontdire que les enfants sont pas touchés. On va en trouver d’autres qui vont dire que les enfants le sont. Voilà, moi dans le doute, je préfère m’abstenir de jouer avec ça, avec la fragilité humaine. Y’a déjà tellement de raison d’être blessé que c’est pas la peine d’en rajouter.
AUGUSTIN – Comme avec des parents hétéros.
ISABELLE – Oui, oui, bah ça, je suis bien d’accord. Je suis bien d’accord.
– Entretien avec Alain Ducousso-Lacaze
ALAIN DUCOUSSO-LACAZE – On a des travaux, je dirais, qui mettent en évidence qu’entermes de développement, les enfants élevés dans les familles homoparentales ne présentent pas plus, pas moins de difficultés, que les enfants élevés dans les autres types de familles. Voilà. Je n’ai pas rencontré de couples lesbiens, par exemple, ou de couples gays qui vivent en autarcie. Ce que je veux dire, c’est que déjà, « absence de modèles masculins », ça n’a pas tellement de sens. C’est-à-dire que les enfants élevés dans ces familles, ils ont des grands-pères, ils ont des oncles. Bon, ils sortent de la famille, ils rencontrent des hommes à l’extérieur. Donc, cette idée… Absence de modèles masculins? Là aussi, c’est simpliste.
VIRGULE MUSICALE
LECTURE – Paul B. Preciado, dans Un appartement sur Uranus, aux Éditions Grasset.
« Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits deshomosexuels. C’est leur jour de sortie, le gigantesque outing national des hétérocrates. Ils défendent une idéologie naturaliste et religieuse dont on connaît les principes. Leur hégémonie hétérosexuelle a toujours reposé sur le droit à opprimer les minorités sexuelles et de genre. On a l’habitude de les voir brandir une hache. Ce qui est problématique, c’est qu’ils forcent les enfants à porter cette hache patriarcale. »
-Entretien avec lafamille d’Augustin
CHARLOTTE – Et là, c’est l’année avant que je parte à Liverpool, et donc j’ai bossé tout l’été au resta.
AUGUSTIN – C’est Benoit ça, le géniteur. Enfin, moi, je suis né du facteur.
CHARLOTTE – Non, impossible, tu ne peux pas le nier.
ISABELLE – Là, il y a le géniteur encore.
AUGUSTIN – Encore le géniteur, il est sur toutes les photos le géniteur.
- Déjeuner avec Augustin
AUGUSTIN – Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression d’avoir une figure de père, parce qu’avectous les problèmes qu’il y a eu, quand j’ai appris tout ce qu’il avait fait à ma mère, et tout ce que finalement il faisait endurer à notre famille, mes souvenirs ont petit à petit été mis à la poubelle. Donc aujourd’hui, j’ai du mal à percevoir ce que lui a pu m’apprendre et ce que je retiens de luipour ma construction. J’ai l’impression de me construire complètement en opposé à ce qu’il a pum’apprendre, c’est-à-dire qu’il est un contre-modèle plutôt qu’un modèle. Et je n’arrive pas à concevoir ce qu’il y a de lui dans ce que je suis aujourd’hui. Cette figure paternelle, je ne la retrouve nulle part.
- Entretien avec la mère d’Augustin
ISABELLE – C’est pas parce qu’on a des convictions qu’on arrive à en vivre. Moi, j’aurais adoré que mes enfants aient un papa digne de ce nom, entre guillemets, et… Voilà, qu’on arrive à poursuivre notre vie de couple. Ça n’a pas fonctionné comme ça. Ils ont un papa qui, je pense, est blessé et qui du coup n’est pas à la hauteur, en tout cas pas compétent, je sais pas. Après, c’est leur papa quoi…
- Déjeuner avec Augustin
AUGUSTIN – Mon père était là, en dehors du travail. Il était militaire, donc ça lui arrivait de partir quelques mois, je crois que le maximum qu’il ait fait c’est neuf mois ou six. Sinon, ouais, il était là le soir, le matin. Il était là le vendredi aprem et le week-end. Donc… Il était pas hyper absent. Après, c’est pas parce qu’il était présent dans la maison et avec la famille qu’il s’occupait de certaines choses, ou qu’il avait un rôle à jouer dans notre éducation, ou qu’il a réussi à mettre sa patte quelque part. Pour moi, en fait, comme il n’est pas présent dans mes souvenirs, comme il n’est pasprésent dans ce que je suis aujourd’hui, je me dis qu’il a jamais été présent. Mais il a sûrement eu unrôle important dans notre éducation. Il nous a amené à des activités, il est parti en vacances avec nous… Donc il a été là. Mais pour moi, c’est comme si il était là, sourd, aveugle et muet. C’était juste une présence.
- Entretien avec la mère d’Augustin
ROZENN – Est-ce que vous estimez qu’il a participé à l’éducation de vos enfants ou pas ?
ISABELLE – (soupir) Alors l’éducation sexuelle, certainement pas. Il était complètement nul. Après, l’éducation, oui. Apprendre à dire bonjour, au revoir. Foutre un cadre, alors ça, il étaitchampion du monde pour mettre un cadre. Pas de problème. Et puis, il était violent. Il pouvait être violent, en particulier avec les deux aînés. Surtout avec les deux aînés, parce que je m’opposais pas à ce moment-là. Après, je me suis opposée, en fait moi. Je supportais plus. Parce que je voyais très bien, si vous voulez, que sa violence était liée au fait qu’il était satisfait ou pas, sexuellement. Et donc je supportais pas que mes enfants aient à subir le fait, que sexuellement, il était pas satisfait quoi.
ROZENN – C’était de la violence verbale, physique?
ISABELLE – Physique. Et alors, il leur tapait dessus parce que les enfants l’agaçaient, ou parcequ’ils obéissaient pas. Voilà, c’était sa manière d’éduquer. Qu’il n’a jamais remise en question. Alors que moi, j’ai remis TOUT en question.
- Déjeuner avec Augustin
AUGUSTIN – Moi, j’ai mis dans le mixeur les souvenirs avec mon père. Du coup, ils sont plus là.
ROZENN – Du coup de 2012 à 2017, t’as pas trop de souvenirs?
AUGUSTIN – 2012, j’en ai plus. Parce qu’en gros, c’est vraiment gros trauma, mais c’est le jour oùma mère m’a confirmé que mon père l’avait trompé. J’ai compris que ça allait partir en foutoir. Je mesouviens que je suis parti au collège en trottinette, et donc j’ai fait tout le chemin, j’ai remonté la rue, jesuis allé jusqu’à mon collège et j’ai pleuré, pleuré, pleuré. Et en fait en pleurant, j’ai effacé la plupart des souvenirs que j’avais avec lui. Aujourd’hui, les souvenirs que j’ai avec lui c’est que des engueulades,parce que tout ce qu’on vivait, c’était des engueulades dans la cuisine ou dans la voiture quand il m’emmenait faire des activités.
- Entretien avec la mère d’Augustin
ISABELLE – C’est très bizarre. Après, c’est facile de relire ça avec du recul. On voit les choses complètement différemment. Mais je pense que j’étais extrêmement loyale à ma famille. Donc, j’aifait un mariage qui ressemblait à celui de mes parents. Un voyage de noces qui ressemblait à celui de mes parents. J’ai épousé un militaire, mon père était militaire, mon grand-père était militaire. Je m’inscris dans un… Alors que mon mari n’était pas du tout d’une famille de militaires. C’est comme si je l’avais entraîné là-dedans pour qu’il rentre dans le schéma familial. Ce n’était pas forcément mes idées, c’était les idées de ma famille. Les deux aînés, c’est amusant, parce qu’ils se sont complètement inscrits là-dedans. Ils étaient hyper disciplinés, hyper… Et puis la troisième, pas du tout. La troisième, moi je l’ai attendue, je commençais à ouvrir un peu les yeux sur mon mari, même si je disais rien. Ça a vraiment été le point de démarrage. Et après, ça n’a fait que s’accentuer avec le temps. D’une remise en question de tout cet héritage familial, en fait. Je rejette pas l’héritage familial, mais je m’appuie dessus pour devenir ce que je suis quoi. Je n’ai plus envie de me confondre avec cet héritage. Voilà.
- Déjeuner avec Augustin
AUGUSTIN – Nous, comme on savait pas ce qui se passait dans leur chambre, on pouvait pas savoir quand ça allait, quand ça allait pas. Puis, y’a un moment où ça allait plus. Quand elle en pouvait plus de lui, forcément il était plus jamais satisfait. Donc ouais, moi, tout ça je m’en suis jamais vraiment rendu compte tout seul. Mais il était assez énervé. Et en fait, je t’ai dit que j’avais oublié ce que je faisais avec lui comme activité et tout, et ma mère m’a dit qu’on ne faisait pas d’activités avec lui. C’était lui, quand il faisait des trucs, il nous emmenait. Donc on a dû faire beaucoup de trajets en voiture pour aller voir des garages, des trucs comme ça, on l’accompagnaitdans ce qu’il avait à faire. Mais il ne faisait jamais rien pour nous contenter tous. (silence) C’est ce qui fait aussi qu’il n’y avait pas trop d’amour, quoi.
- Entretien avec la mère d’Augustin
ISABELLE – J’ouvrais de plus en plus les yeux. Mais à partir de 2003, j’ai commencé à lui en parler, à lui dire que je n’étais pas bien, voilà. Que la manière dont il me traitait me convenait pas. Pour lui, je lui appartenais. Et moi, un matin, je me douchais et il était aux toilettes, donc il avait sa porteouverte, et il m’a filmée. Voilà. Donc vous voyez ce sentiment que mon corps, je suis dépossédée demon corps. En fait, ça c’était, ça a été… Très tôt, j’ai ressenti ça, mais je
n’arrivais pas à mettre des mots dessus. C’est même presque après la séparation que j’ai réussi vraiment, avec un travail en thérapie, à mettre… À mettre des mots sur ce traumatisme. Parce que c’est un traumatisme. C’est comme du viol en permanence.
ROZENN – Parce que vous n’étiez jamais consentante pour ces choses-là.
ISABELLE – Mais non. (silence)
ROZENN – Et à quel moment vous avez trouvé la force de vous séparer de lui, de lui en parler entout cas ? De faire en sorte que ça… Qu’il y ait une rupture là-dedans?
ISABELLE – Il a fallu que je réalise que ce que je vivais était pas normal. Parce que vous voyez, c’est ça aussi. Le problème, c’est que moi, j’ai été élevé dans un milieu où on ne parlait pas…Jamais de sexe. Jamais. Jamais. Et du coup, moi, je pensais que ce que je vivais était normal. En fait, toutes les femmes vivaient la même chose, que toutes les femmes étaient soumises sexuellement à leurs maris. Et en fait un jour, je m’en suis ouverte à la marraine de Capucine, et elle m’a dit mais attends ce que tu vis c’est pas normal.
ROZENN – Et à quel moment vous avez vraiment envisagé la séparation? Parce que du coup, pour vous c’était inenvisageable…
ISABELLE – Ouais. (silence) C’est rigolo parce que j’ai des amies dans mon entourage quiétaient maltraitées par leur maris, et puis je le voyais très très bien et je leur disais : « Faut partir ! Faut pas rester ! » Et elles, elles me disaient : « Mais Isabelle, tu dois partir ! Faut pas rester ! » (rires) Et moi, on m’a toujours dit : à un moment, il y aura un déclic et à ce moment-là, il n’y aura plus de retourpossible. Et il y a eu un déclic. Il y a eu un déclic un soir, parce que j’avais pris le parti de ne plus lui parler. Et donc, je refusais, je refusais, je refusais de parler. Et là ça l’énervait, ça l’énervait tellement qu’il a fini par devenir violent. Il m’a chopé comme ça. C’est mon fils Louis qui est intervenu, et en fait,j’ai eu peur. Le lendemain, j’ai appelé un avocat et c’était terminé. Et j’ai plus jamais hésité. Et je peuxvous assurer que quand j’ai appelé cet avocat, que j’ai pris cette décision (inspiration), j’ai eu lesentiment de perdre 10 kilos. Vraiment, tellement ça m’a soulagé d’un poids. (chuchotement) Je mesuis dit, putain, ça y est c’est fini, je ne l’ai plus. C’est terminé. Quelle paix! (inspiration) J’étais en paix. C’est fou!
VIRGULE MUSICALE
- Déjeuner avec Augustin
AUGUSTIN – Aujourd’hui, je ne parle plus à mon père. Je ne l’ai pas vu depuis plus d’un an, il me semble. On se voit normalement aux grandes réunions de famille, comme les mariages de mes frères et sœurs. Et pour le coup, il va y avoir le mariage de ma sœur en août, dans quelques jours, et il sera sûrement pas là. Donc, j’ai vraiment très peu d’occasions de le voir et j’essaie d’avoir le moins d’occasions possibles. En bref, je ne le vois plus. Je lui parle plus.
- Entretien avec la mère d’Augustin
ROZENN – Mais là, du coup, vous me parlez quand même d’un modèle de mari qui était plutôt négatif et maltraitant, et d’amies qui avaient aussi des maris qui les maltraitaient. Du coup, quid de la figure du père, quand même ?
ISABELLE – Après j’ai plein d’autres amis qui maltraitaient pas leurs enfants. Voilà, moi j’ai beaucoup de couples dans mes amies où le mec est génial, quoi.
ROZENN – Malgré tout, c’est toujours un modèle familial auquel vous êtes attachée et que vous défendez?
ISABELLE – Ben ouais, oui, parce que quand ça fonctionne, c’est génial.
LECTURE – Alice Coffin, dans Le Génie Lesbien, aux Éditions Grasset.
« L’opposition à l’extension de la PMA à toutes les femmes est d’abord une volonté de sauvegarder la figure du père. Les opposants à son extension ont d’ailleurs choisi pour slogan deleur manifestation d’opposition au projet de loi : « Liberté, Egalité, Paternité. » La frousse est totale de voir papa partir. Je l’ai vécu sur des plateaux de télévision. Les journalistes, plus d’une fois, m’ont présenté l’argument « on ne veut pas d’une société sans pères » comme légitime. Au lieu de tenter de le déminer, je fonce en général dans le tas. Pour dire qu’il n’y a aucune raison de ne pas attaquer la figure sacrée du père, et que bien des familles sur cette planète iraient mieux si papa n’était pas là. La papapanique est totale. »
- Entretien avec Alain Ducousso-Lacaze
ALAIN DUCOUSSO-LACAZE – Il faut rappeler un point qui me paraît extrêmement important: il n’y a pas de famille dans
laquelle il n’y a pas des problèmes. En tout cas, la famille qui garantirait l’épanouissement des enfants, on ne la connaît pas. La configuration familiale qui serait la configuration idéale, on ne la connaît pas.Je ne vois pas aujourd’hui comment on pourrait dire que les difficultés de tel enfant sont liées au fait que ses parents sont de même sexe. Est-ce que ce n’est pas une manière de ne pas voir que dans cesfamilles-là aussi, il y a des divisions liées au fait que ce sont des familles, et que les liens familiaux, c’esttoujours complexe?
– Déjeuner avec Augustin
ROZENN – Et tu attends quoi de cet aprem ?
AUGUSTIN – De cet aprem… Avec ma mère et mes sœurs, je sais pas… Du coup, j’ai envie de demander à ma mère si elle pense vraiment que je ne pourrais pas être un bon père. Parce que c’est facile de dire : « Un enfant a besoin de l’amour d’un père et d’une mère, donc on déconseille ». Mais quand on arrive à penser à ce schéma-là avec des proches, avec des gens qu’on connaît, peut-être qu’on peut se remettre un peu en question. Du coup, on peut vraiment poser la question : est-ce que, moi, je serais un mauvais père, est-ce que ce que j’apporterai à mon enfant ne sera peut-être jamais suffisant? (silence) C’est de ça dont je voudrais parler.
-Entretien avec lafamille d’Augustin
ROZENN – Et vous réagiriez comment si Augustin voulait des enfants un jour ?
CAPUCINE – (rires) Sachant qu’il a toujours voulu être tout seul avec son chien. Ça feraitplaisir, c’est certain, plutôt que d’être tout seul. Mais…
AUGUSTIN – Mais est-ce que je serai un bon père? Est-ce que tu penses que je serai un bon père ?
CAPUCINE – Je pense oui. Je pense que… Oui.
AUGUSTIN – Est-ce que tu penses que, du coup, je pourrais être un père assez aimant et avoir des enfants qui auraient grandi en étant aimés et qui, du coup, seraient sains et n’auraient pas trop de problèmes causés par moi? Est-ce que tu penses que je suis la bonne personne pour avoir des enfantssains et qui se sont senti aimés toute leur vie ? Parce que c’est ça, finalement, un enfant qui a biengrandi et des bons parents, ce sont des parents qui ont bien aimé et qui ont
bien accompagné. Qu’est-ce que ratera mon enfant, du fait qu’il aura eu deux pères, dont moi ?
CAPUCINE – Tu es entièrement capable de donner énormément d’amour à un enfant, de le faire se développer, de le rendre heureux. Ça, c’est pas… C’est pas un souci. C’est pas…
ISABELLE – Après la question, ce serait la relation avec la mère de l’enfant, et comment maintenir malgré tout une relation avec cette mère. Ce serait intéressant de discuter là-dessus autour de la GPA, justement, si jamais ça devait arriver dans nos pays. Moi, je trouve que ce serait intéressant que la mère porteuse puisse effectivement peut-être – alors après ce serait avec son accord, bien entendu – mais garder un rôle dans la vie de cet enfant.
AUGUSTIN – Du coup, c’est une question de mère plus que de figure féminine ? Parce qu’il pourrait être entouré d’autres figures féminines que sa mère aussi, genre sa grand-mère.
ISABELLE – Ouais, ouais, ouais. Tout à fait, mais ça remplace pas. C’est pour ça que je répète, on sait pas et j’ai pas envie qu’on s’amuse avec ça. L’être humain est trop fragile, trop précieux, tropbeau pour qu’on prenne des risques de le blesser. Après, moi j’ai… C’est certain qu’on blesse. Mais là, j’ai l’impression qu’on prend trop de risques en faisant ça.
AUGUSTIN – Tu auras l’impression que moi je blesserai ou que je jouerai?
ISABELLE – (long silence) Je sais pas. Non, je veux pas penser que tu puisses blesser. Parce que je suis consciente que tu es quelqu’un de responsable et que si un jour tu décides d’avoir des enfants avec un autre homme, ce sera pas dans le but de le blesser et tu feras tout, le maximum en tout cas, pour ne pas qu’ils soient blessés. Donc non, je ne peux pas… Je ne peux qu’espérer qu’ils ne le seraient pas. Mais je t’encouragerais en tout cas à lui parler de sa mère. Et à ce que cette personne nesoit pas absente de sa vie. Voilà.
CHARLOTTE – Eh bien, comme Capucine l’a dit tout à l’heure, étant donné que ça fait quand même de nombreuses années qu’il nous dit qu’il n’aura pas d’enfant, qu’il ira vivre tout seul, etc. Je pense que quelque part, je serai quand même heureuse. Je me réjouirai qu’il puisse le vivre aussi.
AUGUSTIN – Mais après, si pendant toutes ces années, j’ai dit que je ne voulais pasd’enfant, c’est parce qu’on m’avait fait
comprendre que c’était impossible que j’en ai. Et parce que je ne pensais jamais pouvoir assumer ma sexualité et du coup, construire une famille avec qui je voudrais. C’est aussi pour ces raisons là que je disais que je n’aurai jamais d’enfant et que, de toute façon, il fallait mieux que je finisse seul puisque je pourrais jamais aimer au grand jour qui je voulais.
CHARLOTTE – Mais nous, ne sachant pas ça, on ne pouvait peut-être pas s’empêcher de se dire : « Ah mais pourquoi ? » Moi, je me demandais, pourquoi ? Mais qu’est-ce qui fait qu’il a envie, effectivement, de s’acheter sa baraque en Sicile, là, et d’aller vivre là-bas d’y aller en hélico et de plus voir personne quoi ? Parce que c’était ça, en fait, ce qu’il disait.
ISABELLE – Et que s’il avait un enfant, ce serait pour le traumatiser, il disait. Aussi. (Rires)
AUGUSTIN – Mais c’est juste des mécanismes de camouflage de: « Je suis gay et je n’arrive pas à vous le dire et du coup, j’invente n’importe quoi ». Et j’invente des histoires pour vous faire rire et divertir. Ouais, mettre l’attention ailleurs. Parce ce que je ne ferais jamais ça.
ROZENN – Mais c’est surtout qu’on t’avait peut-être appris toute ton enfance que leshomosexuels ne pouvaient que traumatiser les enfants.
AUGUSTIN – Oui, aussi. Enfin, pas traumatiser, peut-être pas.
CAPUCINE – On lui a pas appris ça. (Rires)
AUGUSTIN – Mais bien blesser. Au moins blesser, et au moins, pas être à la hauteur. Pas êtreaussi bien que les hétéros. Non mais sur le fait de faire des enfants quand on est gay, c’est vraiment à la Manif pour tous qu’on a formaté toute la réflexion sur les enfants en danger.
ISABELLE – Oui, parce que là, pour le coup, c’est vrai que les slogans disaient que les enfants étaient en danger.
VIRGULE MUSICALE
- Déjeuner avec Augustin
AUGUSTIN – En ce moment, je me questionne pas, parce que je pense que si je veux avoir desenfants, ce sera après avoir vécu
quand même beaucoup de choses, peut-être autour de 30, 35 ans vraiment. Il vaut mieux vivre avant tout ce qu’on a à vivre, avant de s’engager dans un truc un peu plus posé… Où il faut dans le meilleur des cas quand même trouver quelqu’un avec qui le faire. Parce que c’est mieux de pas être tout seul.Donc moi, j’attends un moment et je me pose pas trop la question pour l’instant. Je réfléchis juste et jeme dis que c’est, c’est un challenge.
- Entretien avec Augustin
ROZENN – Si tu te maries un jour, est-ce que tu te vois te marier à l’église ?
AUGUSTIN – Je ne pense pas que ce sera possible de se marier à l’église quand on est gay. Jesais pas. Je trouve qu’il y a plein d’alternatives qui ont l’air bien à étudier aussi. Je sais même pas si je veux me marier un jour, en réalité. Et si je marie, ce sera surement pas à l’église, parce que ça me ferait participer du coup à une cérémonie où on dit quand même qu’on croit à certaines choses. Et si je n’y crois pas, il vaut mieux pas que je mette les pieds dans la cérémonie.
ROZENN – Pour toi, c’est incompatible d’être gay et catholique?
AUGUSTIN – Dans mon cas, c’était incompatible d’être gay catholique. Il y en a qui le font. Je veux dire, on a tous des chemins différents. Mais pour moi, comme j’ai refoulé pendant longtemps lefait que j’étais gay, quand ça m’a submergé et que j’ai plus pu le refouler au moins à moi-même et que je devais m’avouer que j’étais gay, forcément, j’ai, j’ai balayé tout ce qui était sur le chemin de l’acceptation. Et donc tout ce qu’on m’avait appris et tout le modèle catholique. J’ai dû le balayer pourréussir à souffler un peu et à me dire que j’avais le droit d’être gay, d’être qui j’étais.
VIRGULE SONORE
GÉNÉRIQUE
Merci à Isabelle, Charlotte et Capucine. Merci à Alain Ducousso-Lacaze. Et enfin, un grand merci à Augustin, pour son engagement et la confiance qu’il m’a accordée tout au long des enregistrements.
Quouïr est conçue et réalisée par Rozenn Le Carboulec, produite par Nouvelles Écoutes, mixée par Marthe Cuny et coordonnée par Gaïa Marty. Direction artistique, Aurore Meyer Mahieu. Lecture de texte par Sohan Pague. Prise de son studio par Adrien Beccaria, à l’Arrière-Boutique. Si vous avez une question ou commentaire à nous faire parvenir, rendez-vous sur les réseaux sociaux de Nouvelles Écoutes.