– Entretien avec Augustin

AUGUSTIN – En terminale,j’étais vraiment un peu perché et j’étais allé à une soirée qui avait terminé en boîte. En fait, quand jesuis sorti de la boîte parce que la soirée était finie,j’étais encore trop bourré. Et donc,je savais que sije rentrais chez moi, j’allaisvomir dans mon lit. Et donc, qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là? On va marcher un peu. C’était une époque où j’étais très très encolère contre l’église et contre tout le milieu catho parce que j’étais en colère contre ma famille, parce que j’étais submergé par mon envie d’assumer le fait que j’étais gay et de pouvoir le dire au monde. Et en fait, il y a une église genre sainte Marie-Madeleine, je sais pas quoi juste après, donc j’ai poursuivi mon chemin comme ça. Je me suis posé devant l’église. Et là, je nesais pas. J’ai craché sur l’église. Mais après j’ai fait une génuflexion, mais un truc hyper théâtral, tu vois, de personne bourrée. J’aicraché sur l’église,j’ai fait [uhh] et après je suis rentré chez moi, mais toujours en titubant et tout. Et en fait maintenant, quand jereviens à Lille sans faire exprès. Dès que je me retrouve tout seul,je refais l’itinéraire etje refinis devant la même église.

ROZENN – Et quand tu dis cracher sur l’église, c’est cracher au sens propre ou figuré?

AUGUSTIN – Ouais au sens propre. Genre vraimentje me suis mis devant l’église et j’ai craché dessus.

– Discours avec une musique

VOIX FÉMININE – Si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela, gardez la tête haute, vous n’avez rien à vousreprocher. Les vérités tuent, celles que l’on tait deviennent vénéneuses.

[AmbiW1ce église]

AUGUSTIN -Toutes les familles nombreuses qu’on voyait en général le dimanche à la messe, elles étaient aussi dans cesbus-là pour aller à la Manif pour tous. Mais officiellement,il n’y avait aucun rapport avec la paroisse. C’est juste les mêmes personnes. Mais ça ne partait pas de l’église ni rien.

AUGUSTIN – Et ça, ça m’a troublé quand ma mère me l’a dit parce que moi je pensais vraiment que la paroisse avait aidé àemmener à la Manif pour tous. Parce

que je me souviens quand même qu’à l’Église, on nous parlait énormément de la Manif pour tous, mais dans un sens plusidéologique que pratique. C’était pas vraiment aller à la Manif pour tous mais c’était le rappel de l’importance de la famille, de l’amour du père et de la mère, etc. Et donc je pensais vraiment que, dans mes souvenirs, la paroisse avait vraiment joué un rôlepour nous emmener à la Manif pour tous, eten fait ma mère m’a dit que non. C’était l’antenne de la Manifpour tous à Lille quigérait tout ça. Donc en fait c’était une confusion parce que c’était les mêmes personnes qui étaient aux deux endroits. Donc,forcément, la confusion est facile à faire quand on a 12 ans.

[Virgule musicale]

ROZENN – Vous y alliez avec qui à ces manifestations? Est-ce que vous y allez avec des membres de la paroisse ?

ISABELLE, mère d’Augustin – Oui, parce que nos amis étaient membres de la paroisse. Après nous on s’est… endéménageant quand même assez fréquemment du fait de la profession de mon mari, on s’est souvent intégré dans les villes grâceaux paroisses en fait. C’est souvent là qu’on a trouvé nos amis.

AUGUSTIN – La Manif pour tous c’était associé forcément à la religion dans ma tête, parce que malgré tous leurs efforts, ça restait une manifestation avec presque que des catholiques qui venaient parce qu’ils étaient motivés par leur catholicisme à défendre un certain modèle de famille. Et donc forcément, quand j’ai rejeté la Manif pour tous parce que c’était quelquechose qui était très, c’est un souvenir très oppressant, j’ai rejeté avec la religion parce que c’était la religion qui… qui justifiait un peu la Marlif pour tous. Et refuser de faire partie à la fois de la communauté chrétienne et de faire partie des gens juste quicroient en Dieu, pour moi c’était en même temps balayer la Manif pour tous et tous ces gens qui m’avaient empêché d’être quij’étais.

ROZENN – Est-ce que tu te souviens, toi, de moments à l’église ou à la messe où ont pu être prononcées des paroles homophobes, par exemple?

AUGUSTIN – Je ne pense pas qu’il y ait eu des paroles directement, clairement identifiées comme homophobes à l’Église,parce qu’il y a aussi des gens qui viennent à l’église qui sont beaucoup plus ouverts. Il y a des genstrès tolérants, il y en a qui ne sont pas du tout tolérants, il y a des gens qui sont au milieu et il y a des gens qui sont très ouverts et qui viennent parce qu’ils ont la foi, parce qu’ils croient en Dieu. Donc c’était pas directement homophobe, mais on nous présentait quand même, comme toujours, une ambiance générale de d’hétéro-centrisme Et donc en fait, c’était pas des paroles homophobes, mais c’était un fondqui nous présentait l’homosexualité comme impossible. Quand le prêtre illustre ses propos qu’avec des hétéros, quand y’a que des mariages hétéros… En fait, on est entouré que de couples hétéros et donc on n’imagine même pas qu’on pourrait être gay. Et finalement, ça, dans le fond, c’est un peu homophobe.

[Ambiœtce dœts uneéglise/ chœtts de messe]

LAURENT DUBRULE – Laurent Dubrule, prêtre du diocèse de Lille et curé notamment dans la métropole lilloise. Une ville qui s’appelle Lhomme.

LAURENT DUBRULE – Lors des manifestations de laManifpour tous,j’étais déjà curé dans une autre paroisse, pas très loind’ici d’ailleurs. Je n’ai personnellement jamais participé à une des manifestations, ne l’ayant pas non plus beaucoup soutenu, jen’étais pas le premier à faire de la publicité pour ces manifestations. Dans la paroisse, il y avait eu des propositions. Je ne peuxpas interdire moi, en tant que prêtre des chrétiens à y aller, voire à en parler autour d’eux. Mais on avait trouvé un consensusavec les gens de dire, les tracts, etc. Ils pouvaient le diffuser à la sortie de l’église. Mais ça n’a jamais été à la fin de l’Église uneannonce officielle, puisque partant du principe qu’un moment donné, sachant que c’était quand même très clivant, je ne voulaispas créer publiquement des dissensions au cœur de la

communauté en disant : chacun ses opinions. Mais on ne peut pas prétendre que son opinion est majoritaire, ce qui était faux.

ROZENN – À l’époque, vous ne preniez pas part à ces manifestations, mais beaucoup d’éminents représentants de l’Église yprenaient part ouvertement. Quel regard vous portez là-dessus aujourd’hui?

LAURENT DUBRULE -Alors,je demanderai toujours de faire une étude très précise. Poser la question de dire combien d’évêques vraiment étaient aux manifestations. Je ne suis pas sûr que ce soit plus d’un évêque sur deux. Voilà, on a toujours làaussi l’effet loupe. Quelques évêques qui y vont, on les interview, généralisation, donc tous les évêques étaient à lamanifestation. Donc là, je me demanderais…

ROZENN – C’est pas ce que j’ai dit.

LAURENT DUBRULE – Mais d’éminents… oui, certes, monseigneur Barbarin était là. Oui, Monseigneur Barbarin ne parlaitque en tant qu’évêque de Lyon, je dois vous avouer que moi, mon évêque, ce n’était pas Mr Barbarin. Et ce que je sache, il n’a jamais participé et même s’il était là, je ne vais d’abord pas dicter ce que mon évêque doit faire, mais l’église n’est pas une arméeoù la pensée monolithique et le chef parle au nom de tous.

ROZENN – Il n’en reste pas néanmoins que la Manif pour tous a pu être qualifiée de mouvement catholique ou majoritairementcatholique. Je pense que ça a été quand même documenté et qu’on ne puisse pas le nier aujourd’hui. Je pense qu’Augustin qui a fait partie des rassemblements peut en témoigner, t’étais entouré que par des familles catholiques, globalement?

AUGUSTIN – Oui dans mes souvenirs, c’était… c’était quand même l’image qui était le plus attachée à la Manif pour tous.C’était qu’on y allait avec des gens de la paroisse et qu’on retrouvait des gens qu’on connaissait et qui étaient dans le même milieuet qui étaient aussi très cathos.

l.AURENT DUBRULE – Je crois qu’effectivement, là, encore faudrait documenter, je vous fais confiance sur cette référence quebeaucoup de participants à la Manif pour tous étaient catholiques. Mais tous les catholiques n’étaient pas à la Manif pour tous. Et c’est ça qu’il faut rappeler.

[Virgule musicale]

ANTHONY FAVIER- Moi, en tant que catholique,j’ai eu l’impression d’être kidnappé par les évêques et La Manif pour tous.En réalité, ça a commencé dans la décennie 2010 quand, autour de Christine Boutin, ça a commencé à s’en prendre aux manuelsde biologie avec la théorie du gender. Et il y avait des tas de catholiques qui étaient conscients que c’était pas si simple qu’il y avaitun mouvement intellectuel qui envisageait la diversité sexuelle, les rapports hommes-femmes différemment et qui étaientcomme mis sous le boisseau, caricaturés. Et malheureusement, cette position très dure à l’égard des nouveaux droits sexuels, dela démocratie sexuelle, de l’émancipation des minorités sexuelles, elle a eu beaucoup de relais.Beaucoup d’évêques se sontalignés sur les positions dures de Jean Paul II. Je pense qu’ils ont ouvert une boîte de Pandore. Ça a été vraiment vraimentdélirant. Monseigneur Barbarin à titre personnel a marché pour la Manif pour tous, il a eu des propos très durs contre lemouvement homosexuel. Il avait dit que ça allait être la porte ouverte à la polygamie et à la zoophilie. Ce qui a été dit, ce qui a étéfait à ce moment-là laissera des traces et blessures, assurément. Le groupe des catholiques d’ouverture, il s’est trouvécaricaturé,démonisé. Il y a eu une forte violence qui s’est exercée sur des courants plus ouverts du catholicisme à ce moment-là.

AUGUSTIN – Baptême j’ai que celle-là.

AUGUSTIN – Avec mon parrain, ma marraine, ma maman, mon papa et moi, là, dans les bras du prêtre. On dirait que la photodate de 1960. Mais non c’est 2002.

ROZENN – Ça s’appelle comment le vêtement que porte Augustin?

ISABELLE, mère d’Augustin – Cette robe de baptême, elle est familiale. C’est… mon arrière-grand-père a été baptisé dedanset donc elle est. Elle a été faite à la main. C’est de la dentelle faite à la main. C’est extrêmement fragile. Et donc c’est ma mamanqui est gardienne de cette robe familiale. Non mais avant, c’était sa mère. Et voilà, c’est quelque chose qu’on se passeeffectivement de génération en génération pour… et tous… tous mes enfants étaient baptisés dans ma robe. Moi-même, j’ai été baptisée dans cette robe. Ma maman a été baptisée dans cette robe. Ma grand-mère aussi. Et mon arrière-grand-père était lepremier baptisé dans cette robe.

AUGUSTIN – Et ton petit-fils le dernier.

ISABELLE, mère d’Augustin – Et Le dernier, mon petit fils, a été baptisé dans cette robe ouais.

ROZENN – Et ben, quelle histoire.

AUGUSTIN – Elle n’a jamais été lavée ! Bah c’est vrai, ça ne passe pas à la machine.

AUGUSTIN – Donc, mon éducation religieuse. C’est vrai qu’elle est d’abord passée par la messe. Qui était vraiment tousles dimanches plus toutes les fêtes. Noël, Pâques. Tout ça, tout ça. Et en plus, très, très tôt quand j’habitais encore à Douai et que j’étais à l’école primaire,j’ai fait du cathé. C’était régulièrement ma mère qui animait le cathé. En plus de ça, à la maison, ilnous arrivait de faire, par exemple des bénédicités, de faire des prières du soir. Il y a un moment on en faisait beaucoup, on avaitpris le rythme de prier ensemble le soir et donc tout ça ça forge l’éducation religieuse, en plus des principes qui sont enseignéset sous-entendu dans tout ce

qu’on fait. Et après, au collège, je suis parti dans le privé en déménageant à Lille. Donc là,j’ai continué à avoir du cathé. Il yavait une pastorale qui organisait des évènements. Et à paitir du lycée, c’était plus obligatoire. C’était vraiment quand on étaitpetits qu’il y avait une grosse charge sur l’éducation religieuse. Après, plus on grandissait, moins y en avait.

ISABELLE – En fait, moi,j’ai été élevée dans un milieu catholique pratiquant. On allait à la messe tous les dimanches. On a été catéchisés, on a fait toutes les communions de la terre, le machin, le truc… Voilà. Mais moi,j’ai continué. Après,je me suismarié à l’église. J’ai continué à aller à la messe tous les dimanches, mais en fait c’était plus une habitude qu’une réelleconviction de quoi que ce soit. Jusqu’en 2000… en2003.

ISABELLE – L’année 2003-2004, enfait, on a déménagé à Douai et Margaux est rentrée à l’école. Margaux, qui est donc laquatrième, celle qui est juste avant Augustin. Et la maîtresse de cette… de Margaux m’a demandé sije pouvais faire le catéchisme à des enfants qui avaient 3 ans. Elle était dans une école privée. Et en fait, ça a été le début d’une réelle conversion.j’aiété touchée. J’ai été touchée par la foi des enfants. Ca,ça m’a interloqué. C’est comme si tout d’un coup, Dieu était une évidence.

ISABELLE – J’étais scotchée alors que mes enfants étaient grands. Enfin, les plus âgés, ça faisait.            Mais je n’avais pas dit. Je n’avais pas vu ça chez eux. Je n’avais

jamais parlé de la foi non plus avec mes enfants. En fait, on les emmenait à la messe, mais c’est comme la Manif pour tous. Onleur expliquait pas pourquoi on les emmenait là, on les emmenait là,point. Voilà. A partir de ce moment-là, ça a été complètement différent pour moi. Et la communauté de l’Emmanuel s’est inscrite dans ce mouvement-là. Parce que dans lacommunauté de!’Emmanuel, il y a toute une part d’enseignement. Moi, c’est ça surtout qui m’intéressait. Toute une part d’enseignements qui venaient nourrir cette       ce besoin que j’avais de nourrir cette

foi. Et j’avais envie que mes enfants découvrent ça. Or, moi, ce qu’on m’avait transmis de la foi, c’était plutôt tristounet. Et lacommunauté de l’Emmanuel en fait,

c’est joyeux. Moi, je trouvais que pour transmettre la foi, c’était le meilleur moyen. De montrer. De montrer à mes enfants que çarendait heureux de croire en Dieu, que ce n’était pas un truc de merde et que ce n’était pas un truc ou on était juste en train de sebattre la coulpe et de se dire pitié qu’est-ce que Je suis pêcheur, pêcheurs, pêcheurs, et re pécheur quoi ! Parce que moi, mamaman, c’est ce que l’on avait transmis. Et du coup, c’est un peu l’idée qu’elle nous transmettait quand même.

C’était qu’on était des horribles pécheurs. On avait fait du mal à Jésus, on l’avait quand même tué et il était mort à cause de nous parce qu’on était des très, très grands fautifs. Moi, tout ça,j’ai tout envoyé chier. Moi pour le coup. Toutes ces idées-là,j’adhère pas du tout, du tout, du tout.

VIRGULE MUSICALE

ISABELLE – Alors, mes rapports avec la communauté de l’Emmanuel, donc moi, j’ai été baignée là-dedans. Enfin je me suisbaigné là-dedans. Vraiment.

Franchement. Personne ne m’a forcé à aller là Moi,j’ai été tous les ans. On allait faire une session familiale, ont emmenait lesenfants. C’était 5 jours à

Paray-le-Monial. Les enfants étaient pris en charge, chacun en fonction de leur âge. Voilà, toute la journée, on prenait tous nosrepas ensemble en revanche, en famille. Mais après le cours de la journée, on avait des enseignements pour adultes et eux, ils avaient des activités adaptées à leur âge.

CHARLOTTE, grande soeur d’Augustin – Oui c’est des chants qu’on peut

chanter à Paray-le-Monial du coup et dans ma paroisse – pas tous les dimanches – mais en tous cas on le chante. Comme chantd’entrée ou chant de sortie. Donc chant de début de messe ou de fin. Voilà.

–   Explications d’ Anthony Favier

ANTHONY FAVIER-  Dans le catholicisme français, après le concile Vatican2  –

donc entre 1962 et 1965 – , il y a eu une crise assez forte des ordres religieux

traditionnels chez les jésuites, où même les prêtres dans les diocèses, y en a beaucoup qui sont partis, y avait moins de jeunes quiavaient la vocation. Et dans ce côté, un peu de déconfiture, de crise, sont apparus de nouveaux groupes communautaires,religieux, de nouveaux regroupements religieux, notamment des groupes qui s’inspiraient du néo-pentecôtisme américain, des groupes évangéliques nord-américains. Et c’est ce qu’on appelle en français le Renouveaucharismatique. Si vous voulez la communauté de l’Emmanuel, elle est fondée par des étudiants parisiens qui reviennent desÉtats-Unis où ils ont découvert le Renouveau charismatique.

ANTHONY FAVIER – Et ils ont récupéré dans les années 1970 unsanctuaire qui est un peu vieillot, un peu moribond enSaône-et-Loire, qui est le sanctuaire au Sacré-Cœur de Jésus. Et petit à petit, cette petite ville très mignonne de

Saône-et-Loire est devenue la Mecque des charismatiques catholiques dont l’image vaut ce qu’elle vaut. Mais c’est ça. Tous lesétés, il y a un grand festival qui s’y déroule. Et donc, du coup, on sait maintenant un peu documentée que l’Alliance Vita, qui étaitun des membres actifs du collectif qui a donné naissance à la Manif pour tous, a sa base arrière à Paray-le-Monial. Lacommunauté de l’Emmanuel, directement, ne faisait pas partie de la Manif pour tous. Mais on arrive à tracer des parcoursbiographiques de personnes qui sont très proches de la communauté de l’Emmanuel et qui sont engagées dans lecollectifManifpour tous de leur coin. La communauté de l’Emmanuel a un rôle non négligeable, mais elle n’est pas la seule,je pourrais en parler d’autres, dans l’activisme autour de cette question du mariage pour tous.

AUGUSTIN – Ça, c’est le Sacré-Coeur de Lille qui, du coup, est un peu laissé à l’abandon parce qu’il y a un champignon à l’intérieur. Je sais pas où ils en sont des travaux, mais enfin il y a des plantes vertes qui envahissent la façade. Et c’est là où on allaità la messe tous les dimanches. J’y suis allé de 2012, l’année où on est arrivé à Lille,jusqu’en 2016 environ, 2017- Jusqu’à ce que jeveuille moins y aller.

AUGUSTIN – Après, le prêtre a été remplacé par un prêtre qui est très vite parti parce qu’il avait été accusé de pédophilie. Et du coup, là, le contraste, enfin le paradoxe, était trop gros pour que l’on ne s’interroge pas quand même sur

l’importance qu’on accordait à l’Église et sur la confiance qu’on pouvait lui donner. Parce que quand on nous répètependant des années : « Il y a un père et une mère, c’est important pour protéger l’enfant, protéger l’enfant, protéger l’enfant » et qu’après on apprend qu’en fait, c’est le prêtre qui met en danger les enfants.

Forcément, on se pose des questions. Mais moi, ça, ça a participé à mon éloignement de l’Église et de toute cetteambiance que je trouvais malsaine, c’était de la mauvaise foi complète.

–   Entretien avec Augustin

ROZENN – Est-ce que tu peux expliquer ce qui a fait que ta foi s’est un peu éteinte? Quel est ton rapport à la religionaujourd’hui ?

AUGUSTIN -Au départ, j’avais une foi de l’habitude, j’étais chrétien parce que j’allais à la messe tous les dimanches, que mafamille était chrétienne. Tout le monde, presque. Moi, ce qui a fait que je me suis posé la question et que j’ai rejeté tout ça, c’étaitparce que je sentais que j’étais gay, que donc je m’opposais à tout ce qu’on m’avait appris, tout le modèle familial. Et comme lareligion justifiait quand même beaucoup de choses dans le rejet des gays ou en tout cas dans la façon qu’on avait de lesconsidérer, rejeter la religion, c’était aussi mettre de côté tout ce qui pouvait me faire comprendre que j’étais contre-nature etque je n’avais pas trop le droit de manifester, de montrer qui j’étais et tout ça.

AUGUSTIN – En donc en fait,j’aijeté tout le paquet tradition familiale parce que je suis gay. Je n’aurais pas pu être un gaychrétien de droite avec des valeurs traditionnelles du modèle chrétien.

AUGUSTIN -Aujourd’hui, je ne crois plus en Dieu. Je ne crois pas qu’il existe. Et en fait,je privilégie le doute. Je préfère douteret me dire que je n’ai pas les réponses plutôt que d’avoir les réponses faciles grâce à la religion. Je n’ai pas la foi. J’espère pas renaître dans le paradis ressuscité à la fin des temps. Je me concentre sur la vie que j’ai entre ma naissance et ma mort. C’estdéjà un chantier. Et voilà,j’essaie de trouver des réponses qui me correspondent plus, plutôt qu’on m’en propose, qu’on m’en impose.

VIRGULE MUSICALE

–   Explications d’ Anthony Favier

ANfHONY FAVIER- Depuis le 19e siècle, la plupart des églises chrétiennes en Europe occidentale ont admis que les textesne sont pas écrits directement par Dieu,

mais s’ils sont inspirés par Dieu. C’est ce qu’on appelle l’exégèse historico-critique. L’exégèse, c’est l’interprétation, historico-critique ça veut dire qu’on peut avoir recours à l’histoire pour comprendre d’où vient le texte, comment il s’est formé à travers letemps. Et donc, du coup, aujourd’hui, lorsqu’on aborde les textes sacrés, les textes religieux dans une perspective chrétienne pas littérale, pas traditionaliste, on est obligé d’admettre que ils sont nés dans des contextes, des contextes particuliers.

ANTHONY FAVIER- Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’Église catholique est un peu particulière dans le sens oùelle ne fait pas reposer sa condamnation de l’homosexualité uniquement sur la Bible. Elle est très informée par la pensée d’un théologien du Moyen Âge, saint Thomas d’Aquin, qui a formalisé dans ce qu’on appelle la Sauma teologica, la Somme théologiqueau Moyen Âge, une sorte de synthèse entre Aristote et le savoir chrétien. Et c’est plutôt ça qui justifie la condamnation del’homosexualité dans l’église catholiques, parfois plus que la Bible elle-même. L’idée, c’est plutôt la suivante : chaque créatureest dotée par le créateur d’une raison, donc une capacité à trouver par lui-même, par l’exercice de sa raison, ce qui est juste ou cequi n’est pas juste. Et lorsqu’on applique cette réflexion à la sexualité, on comprend, selon l’Église catholique, que la sexualité estliée à la procréation. À partir de cela, l’Eglise catholique tire un certain nombre de condamnations. Tout ce qui ne respecte pas ce cadre-là est péché. Donc, la masturbation est péché, l’adultère et la fornication – avoir des rapports sexuels en dehors dumariage – est péché et l’homosexualité est péché. C’est comme ça qu’il faut comprendre la condamnation de l’Eglise catholique.

ANTHONY FAVIER- L’homosexuel non chaste qui a des rapports sexuels est dans la même situation que l’homme ou lafemme adultère, marié ou non remarié. Ça ne change pas grand-chose.

–   Entretien avec Isabelle

ROZENN – Comment ont évolué vos rapports avec la communauté de l’Emmanuel?

ISABELLE – Et donc,je suis restée, bahje suis restée très, très proche. Tellement proche que quand je me suis séparée de monmari, mon mari voulait pas rentrer

dans la communauté. Mais moi, en revanche, une fois que je me suis séparée de lui, j’aurais eu besoin du soutien de cettecommunauté parce que c’était dur pour moi de me retrouver toute seule. C’était pas en accord avec mes convictions, c’était pas évident du tout.

ISABELLE – Et là,j’ai été rencontré Du coup,je sais même pas comment ça s’appelle, le responsable de région. Donc,j’enai parlé avec la femme et là elle, elle m’a dit: « Bah oui, on veut bien vous soutenir, mais il faut que dans ces cas-là, il faut quevous vous engagiez à ne…à rester seule. » Puisque dans l’église, si vous voulez, on considère que le mariage, même si on le défait civilement, religieusement, il n’est jamais défait.

ISABELLE – J’avoue que cette phrase m’a choqué parce que c’est pas du tout comme ça que j’envisage Dieu et ma viespirituelle. Et puis après,j’ai rencontré mon compagnon actuel et du coup,j’avoue que ma pratique a changé. Ma foi n’a pas bougé d’un iota.

ROZENN – Et vous faisiez un parallèle entre vous et Augustin?

ISABELLE – Oui, l’Église me dit : « On te rejette pas, on t’aime beaucoup. En revanche, ce que tu vis, ça ne nous convient pas franchement. Et moi,j’ai le sentiment que Augustin sans doute dans notre famille, dans notre famille, on lui dit la même chose,c’est-à-dire on lui envoie le même message, à savoir on te rejette pas, on t’aime énormément, mais en revanche, tu vis dans ton nom en étant homosexuel et bah ça, ça ne nous plaît pas franchement. Ça nous dérange. »

–   Entretien avec Augustin

ROZENN – Est-ce que toi, tu te sens rejeté par l’Église aujourd’hui?

AUGUSTIN – Je ne me sens pas rejeté par l’Église parce que je ne sais pas faire. Je n’essaie pas d’avoir un lien avec elle, donc,elle ne peut pas me rejeter. Je l’ai rejetée en premier,donc elle ne peut plus me rejeter en retour.

AUGUSTIN – Je ne me sens pas rejeter quand je mets les pieds dans une église, mais je me rappelle que je ne suis pas non pluscelui qu’on veut voir. Puisqu’on m’a fait comprendre à travers l’église que je ne pouvais pas être gay et c’est ce que j’ai

assimilé pendant toutes les années où j’ai nié le fait que j’étais gay, je sens que je ne suis pas à ma place et que je on aimerait mieux que je ne soit pas là Parce que il y a toutes ces idées de contre-nature, d’avoir des enfants et de pouvoir mal les élever. Et donc, je sais que je suis pas à ma place. Je ne suis pas avec des gens qui me tolèrent, me respecte et pensent que je pourrais faire un bon être humain, un bon homme.

J’essaie de réfléchir aux modèles de masculinité que la religion essaie d’inculquer. Et il y a toute une part de sensibilité qu’on estquand même vachement de côté. Et donc, j’y correspond pas trop parce que je pense que l’homme donton a envie dans la religion chrétienne, c’est justement le père de famille, celui qui saura entretenir le foyer, avoir un couple solide – avec une femme – et élever des enfants et leur apprendre un peu à survivre et à se débrouiller dans la vie. Donc, forcément, je ne serai pasavec une femme. J’ai plus de difficulté à avoir des enfants. Et ce n’est pas forcément ce que j’ai envie de leur inculquer. Je n’ai pasenvie de leur transmettre ça, donc je ne correspond pas trop à ce qu’on voudrait d’un homme dans l’Église catholique.

MUSIQUE DE GÉNÉRIQUE DE FIN

Merci à Isabelle, Charlotte et Capucine. Merci à Alain Ducousso-Lacaze. Et enfin, un grand merci à Augustin, pour sonengagement et la confiance qu’il 111′ a accordé tout au long des enregistrements.

Quouïr est une série conçue et réalisée par Rozenn Le Carboulec, produite par Nouvelles Écoutes, mixée par Marthe Cuny et coordonnée par Gaïa Marty. Direction artistique Aurore Meyer-Mathieu. Lecture de texte de Sohan Pague. Prise de son par Adrien Beccaria à l’Arrière Boutique. Si vous avez une question ou commentaire à nous faire parvenir, rendez-vous sur les réseaux sociaux de Nouvelles Écoutes.

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