– Augustin ouvre et montre son placard
AUGUSTIN – Voilà mon placard. Donc là, j’ai mes vêtements. Voilà comment on peut le voir c’est très basique. Et il n’y a riende très folklo, très excentrique. C’est assez classique, même là tu vois, c’est beaucoup de jeans, de T-shirt uni. Je m’habille de manière assez neutre. Je porte des baskets et des Doc Martens comme n’importe qui en histoire de l’art.
ROZENN – Idéalement tu aimerais avoir quoi comme vêtements toi ? Est ce que tu as envie de t’habiller différemment toi ?
AUGUSTIN – Je ne sais pas, parce que je ne suis pas très inventif etje nesuis pas sûr d’avoir très bongoût non plus. Mais jepense que sije me renseignais, que je me faisais aider par des amis et tout, je pourrais réussir à élaborer un truc qui me correspondrait et qui me plairait. Et un style avec lequel je me trouverais beau. Mais je me freine etje préfère garder un habillement assez neutre ,pour pas crier au gay dans la rue.
- Discours avec une musique
VOIX FÉMININE – Si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela, gardez la tête haute, vous n’avez rien à vousreprocher. Les vérités tuent, celles que l’on tait deviennent vénéneuses.
- Augustin montre son album photo avec sa mère Rozenn
AUGUSTIN – Ah, ça c’était pour les scouts. Ça c’est ma promesse des louveteaux. Quand j’étais chez les plus petitsscouts,j’ai fait ma promesse.
ISABELLE – Tu connais les scouts toi Rozenn ?
ROZENN – Je connais parce qu’on m’en a parlé mais j’y suis jamais allée.
ISABELLE – T’as jamais été…
ROZENN-Non
AUGUSTIN – Ça, c’est la promesse. C’est un rituel. ISABELLE – Ça peut surprendre de voir desphotos comme ça. AUGUSTIN – Surtout celle-là.
ISABELLE – Les enfants à genoux aux pieds d’un prêtre…
ROZENN – C’est vrai que cette photo-là est assez particulière.
ISABELLE – Non non, mais pour quelqu’un qui ne connaît pas du tout. C’est vrai que ça peut complètement surprendre.En fait, là, il est en train de le bénir.
AUGUSTIN – [Rire]
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – J’ai commencé à aller aux scouts à 8 ans. Ça s’appelle les louveteaux. À l’intérieur du groupe des Scouts unitairesde France. Les louveteaux ça dure 4 ans. C’est entre 8 et 12 ans, donc c’est un moment où on est quand même plutôt des grandsenfants. Et à partir de 12 ans, les scouts commencent. Et là, on est vraiment chez les grands. On est dans des patrouilles où il y a àpeu près une personne par âge. Donc, le plus grand, qui est le chef de la patrouille, a 17 ans. Ensuite, ça vajusqu’à
12-13. Etc’est vraiment plus un monde de grand, c’est-à-dire que les camps sont beaucoup plus longs et durent trois semainesoù on part… on est encadrés par des chefs qui sont des garçons.Et là, il y a vraiment vraiment plus une volonté de préparer àêtre des hommes. Et en plus de ça, il y a un message religieux qui est beaucoup plus présent. C’est-à-dire qu’on essaie denous faire comprendre la Bible, les textes. Il y a beaucoup plus de messes et aussi parce qu’on est plus grand, on comprend mieux ce qu’on fait.
AUGUSTIN – Et en fait, il y avait ce truc chez les scouts de quand même exprimer par les chants aussi une certaine masculinité : on chantait grave, on chantait des chants un peu durs. Les chants laissaient peu de liberté. Et le peu qu’on avait, c’était
vraiment pour faire les durs et montrer qu’on était là et qu’on était des hommes et qu’on était présents comme des hommes, debons scouts, bien durs. Et ça, ça ne me plaisait pas trop. Et donc j’ai arrêté au bout de la 2e année. Toutes mes sœurs, mon frère,ont terminé le cursus, je suis le seul vraiment à avoir arrêté prématurément.
ROZENN – Est ce que tu t’es quand même fait des copains chez les scouts ?
AUGUSTIN – Oui, comme on est en communauté, on est tous amis. Moi,j’avais vraiment de bons amis ou au moins un bonami. Il était un peu comme moi. Il essayait surtout de s’amuser et de s’en foutre de l’image qu’on pouvait qu’on pouvait donner. On a créé notre propre patrouille à part, quis’appelait la patrouille des Cougars par rapport à l’animal, parce que tous les nomsde patrouille étaient des noms d’animaux. Donc, à Lille il y avait le bélier, le fennec. Et nous, on avait créé à part, rien qu’avecnous et deux autres garçons, la patrouille des Cougars, où on pouvait s’exprimer librement et où, même si on avait 15 ans, onparlait un peu de sujets plus… moins autorisés dans les patrouilles officielles et donc on avait notre petit délire à nous avec noscérémonies à nous. Et des fois, on s’isolait pour pouvoir parler librement et chanter ce qu’onvoulait et se dire ce qu’on voulait etse comporter comme on voulait. On était les Cougars et on était là pour s’éclater.
ROZENN – Est-ce que vous aviez conscience à l’époque de l’autre sens du terme cougar?
AUGUSTIN – Oui bah oui, on jouait dessus. Alors, c’est vraiment une bêtise adolescente. Mais le cri, c’était « fripés etsensuels ». Parce que toutes les patrouilles avaient des cris, genre « courageux et braves ». Et nous, c’était « fripés, sensuels » et c’est comme ça qu’on vivait le truc. Ça nous permettait d’être vraiment dans la transgression et la provocation jusqu’au bout.C’était vraiment un exutoire d’être avec ces garçons-là. On pouvait vraiment se lâcher et s’amuser comme on aurait dû pouvoir le faire avec tout le monde.
- Entretien avec Josselin Tricou
JOSSELIN TRICOU – Je suis donc Josselin Tricou etje suis docteur en sciences politiques et études de genre de l’Université Paris 8 etj ‘ai fait une thèse sur la
masculinité des prêtres catholiques. J’ai également participé à une grande enquête sur les violences sexuelles dans l’Églisecatholique et aujourd’hui,je suis maître assistant à l’Université de Lausanne, en Suisse, en sociologie des religions.
JOSSELIN TRICOU – Sur le scoutisme traditionnel non mixte. Alors des Scouts unitaires de France et les Scouts d’Europe.Au-delà de l’absence de discours sur l’homosexualité, il y a une vraie misogynie qui apparaît. Les filles sont sommées d’être pures et de ne pas tenter, par exemple, par le port de certains vêtements, les garçons. Et les garçons sont sommés d’être forts etd’être forts aussi pour protéger les filles et donc se construit cette espèce de différence et de naturalisation de la différencesexuelle, indépendamment des différences de sexualité, qui consonnent totalement avec le discours de l’Eglise et qui empêchetoute expression de déviance – entre guillemets évidemment – en termes de sexualité ou de construction d’autres modèles de vie, de couple, etc. etc.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – J’ai l’impression que tout ce quia pu m’être inculqué par la Manif pour tous, l’enseignement religieux, lesscouts et la famille, fait partie d’un même paquet donten fait le fond est quand même un peu la religion chrétienne. C’est le fondement de tous ces enseignements-là.
ROZENN – Et y compris dans l’image de la masculinité qui était transmise ?
AUGUSTIN – Oui, je pense que justement, l’image de la masculinité que voulaient transmettre les chrétiens, elle s’exprimait àtravers les scouts. Les scouts, c’était aussi le moyen pour les familles chrétiennes de former les garçons à devenir ce qu’on voulait.
– Paul B. Preciado dans « Un appartement sur Uranus » au édition Grasset
LECTURE : Dans les discours français actuels contre le mariage et la PMA pour tous, je reconnais les idées et les arguments demon père. Dans l’intimité du foyer familial, il déployait un syllogisme qui invoquait la nature et la loi morale, afin de justifierl’exclusion, la violence, et jusqu’à la mise à mort des homosexuels, travestis
et transsexuels. Ça commençait par « un homme se doit d’être un homme et une femme une femme, ainsi que Dieu l’a voulu ». Çacontinuait par « Ce qui est naturel, c’est l’union entre un homme et une femme, c’est pour ça que les homosexuels sont stériles ».Jusqu’à la conclusion implacable « Si mon enfant est homosexuel je préfère encore le tuer ». Et cet enfant, c’était moi.
– Entretien avec Josselin Tricou
JOSSELIN TRICOU – L’éducation catholique, elle favorise la construction d’une certaine masculinité par plusieurs canaux. D’abord par ses idéaux. C’est quand même une religion qui prône une sorte de non-violence et donc ça… ça vient contrecarrer uncertain nombre d’idéaux masculins qui sont véhiculés dans la société, par ailleurs. Et en même temps, c’est une religion qui prôneune différence essentielle entre les hommes et les femmes.
JOSSELIN TRICOU – C’est quand même une masculinité qui se veut non violente et en même temps, qui s’affirme comme différente, évidente et dominante. Le catholicisme a un discours naturalisant sur le genre, comme s’il y avait une nature masculine et une nature féminine.
JOSSELIN TRICOU – Et paradoxalement, il construit institutionnellement deux modèles de masculinité qui sontextrêmement différents. Le prêtre célibataire abstinents, qui n’a pas de sexualité en tout casapparente. Et puis, qui doit incarner une sorte de douceur qui rentre dans une forme parfois de mystique, d’émotion, etc. Et puis l’homme marié, hétérosexuel, actif et qui s’inscrit aussi dans le champ de l’économie, du pouvoir politique, etc. Etc.
ROZENN – Et vous dites dans vos travaux que le tournant s’est opéré un peu au moment où l’Eglise a réalisé qu’il y avait unesurreprésentation homosexuelle dans ses rangs et que l’Église pouvaitjouer un rôle de placard.
JOSSELIN TRICOU – L’Eglise se retrouve dans une posture paradoxale – c’est-à-dire que, évidemment, la question ducélibat des prêtres permettait à des
hommes non intéressés par le mariage hétérosexuel de trouver une voie de réussite symbolique dans la vie. Et là se pose laquestion, ou se crée une sorte de suspicion: Mais finalement, l’Église demandant exactement la même chose aux homosexuels et aux prêtres, est-ce qu’il n’y aurait pas plus d’homosexuels dans l’église? Et de fait il y a plus d’homosexuels au sein du clergéque… en proportion, que dans le reste de la société.
JOSSELIN TRICOU – Et pour l’Eglise, qui a un discours jusqu’à il n’y a pas longtemps, homophobe comme le reste de lasociété, mais aujourd’hui qui est en
décalage par rapport au discours gay friendly – qui peut être qu’un discours, encore une fois, il y a de l’homophobie dans lasociété. Bien sûr qu’elle est… elle est sommée de se défendre en disant mais pas du tout Onn’est pas un placard, soit de le reconnaître, soit de s’adapter. Et c’est pour ça que ça produit des réactions au sein de l’Eglise, qui peuvent être des réactions depanique morale, c’est-à-dire des réactions qui peuvent paraître excessives à l’égard d’un épiphénomène tout petit qui ne va pas changer la face du monde et qui peuvent donner lieu à des réactions par exemple virilistes, se basant sur le postulat que si on estviril, on est un vrai mec et si on est un vrai mec, on aime les femmes. On n’aime pas les hommes.
Et donc, plus on entend par exemple que le prêtre doit être un père, plus c’est un signe quand même qu’il y a un enjeu, uneépreuve de masculinité, ce que j’appelle dans mon travail, c’est-à-dire un moment d’incertitude où il s’agit de réaffirmer ou de reclasser la supériorité du prêtre dans les hiérarchies de genre.
JOSSELIN TRICOU – Et puis, il y a encore. Il y a aussi cette question que c’est Dieu le père qui engendre le fils. Et il y aun parallélisme de d’analogies entre Dieu et le fils. C’est l’idée que ce sont les hommes qui constituent les hommes entre eux.Et c’est là aussi tout le paradoxe, c’est que tout en ayant un discours naturalisant, en disant les hommes, c’est naturel, lesfemmes, c’est naturel. Les catholiques ont bien bien conscience, au fond, que la masculinité, comme la féminité, se construit etse construit par un travail éducatif et par des modèles culturels et donc ils ont très peur de perdre cette possibilité de construire des « vrais » hommes.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – Je me souviens d’une histoire qui illustre particulièrement la vision qu’a ma mère de la masculinité. C’était il y adeux ans. Elle conduisait des amis et moi à l’aéroport pour qu’on parte en vacances ensemble. Il y avait quatre amies filles, mamère et moi. Et ma mère soulignait le fait que j’avais toujours plus d’amis filles que de garçons et que là, par exemple,je partaisavec que des filles. Etje lui avais répondu que j’avais quand même un ami garçon qu’elle connaissait bien, qui était Baptiste, etelle m’a dit que ça ne comptait pas vraiment parce que Baptiste, c’était un semi homme. Quand elle disait ça, elle voulait dire qu’enfait, comme Baptiste aimait les hommes, il n’était pas vraiment un homme.
- Entretien en famille
ROZENN – Est ce que vous vous souvenez, vous, de moments où vous avez pu tenir des propos blessants à l’égard des personnes homosexuelles ou LGBT, de manière générale en famille ? Augustin, tu te souviens, toi, de choses que tu as entendues ?
AUGUSTIN – Pas du tout parce qu’on a vraiment beaucoup, mais beaucoup, beaucoup. Je me souviens de beaucoup demoments où j’ai été blessé par des remarques que moi, je considère comme homophobes. En tout casque j’ai prise personnellementparce qu’elles étaient envoyées comme ça en l’air et que c’était sur moi que ça retombait. Et oui, je me souviensde beaucoup. Dans beaucoup d’évènements, ça prenait diverses formes. Et oui, oui, j’avais commencé à faire une liste de toutesles remarques que je me prenais, enfin qui étaient envoyées et qu’en fait,je me prenais personnellement parce que ça s’adressait àmoi sans que personne le sache. En fait,j’ai dû arrêter la liste parce que je n’arrivais pas à tout retenir au repas quand ça partait. Mais oui, je sais que j’en ai eu beaucoup et ça fait deux ans que vraiment,je les remarque beaucoup plus qu’avant parce qu’avant,j’étais complètement refoulé et donc je les prenais pas vraiment personnellement. Mais ça fait deux ans que je lesécoute, que je les entends et que ça me blesse.
CHARLOTTE -À quel moment? Après tout, moije suis, mais moi,je suis moins présente aussi.
AUGUSTIN -T’es moins présente, t’es moins consciente surtout.
ISABELLE – Dans tous les repas. Tu vois, la semaine dernière. Et on a fait attention, justement. Et en fait, ça sort comme ça …
CHARLOTTE – Qu’est ce qui sort?
ISABELLE – Et ben ouais t’as une allure de pédale, ou alors sors muscles sale pédé,
… montre tes muscles, mais si.
CHARLOTTE – Sale pédé ?
ISABELLE – Non pas sale.
AUGUSTIN – Mais pédé sort super facilement. Je l’entends 15 fois par jour.
ISABELLE – Si super facilement. Depuis que moi, je fais attention parce que Augustin m’a fait remarquer ça. Et puis même detoute façon, au-delà du fait que tu me le fasse remarquer depuis qu’il m’a annoncé ça, moi,je me dis attends il faut qu’on fassehyper attention et pas pour ne pas le blesser. En fait, tu t’aperçois là, du coup, tu ouvres les yeux et les oreilles, surtout. Oh, tu dis,mais c’est vrai, en vrai, ça sort, mais ça sort comme ça.
AUGUSTIN – Regarde le chien de Margot qui, pendant longtemps, n’a pas levé la patte pour pisser. Elle a dit quec’était, que c’était parce qu’elle était pédé.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – Je pense que la Manif pour tous. Elle ajustifié beaucoup de l’homophobie intégrée, c’est-à-dire quel’homophobie intégrée était un peu sans raison, sans justification. Jusque là,j’avais été éduqué comme ça, à me dire que deux personnes gay étaient un peu gênantes. Ce n’était pas quelque chose que je voulais voir. Forcément, ça ne me plaisait pas. LaManif pour tous est venue en plus ramener sur la table plein de justifications. C’est-à-dire ? Bon bah, pourquoi je vais être gêné par des gays? Parce que s’ils s’aiment après, ils pourraient avoir des enfants. Ils pourraient faire du mal aux enfants parce qu’unenfant a besoin d’une mère. Ou bien si c’est un couple de lesbiennes, un enfant a besoin d’un père. C’est venu presque apporterdes arguments pour justifier que oui,j’étais bien sur la bonne voie. Oui, des personnes LGBT sont gênantes.
- Entretien avec Josselin Tricou
JOSSELIN TRICOU – En tout cas, la revendication de la PMA fait sortir,j’allais dire, le loup du bois. C’est à dire que tantqu’il n’y avait pas cette revendication, la Manif pour tous ne disait rien, s’affirmait pas explicitement patriarcale à partir du moment où il y a cette revendication. On voit que les slogans tournent uniquement autour de l’absence du père, qui serait undommage terrible pour la société et pour tout le monde. Et c’est bien là, on touche au point névralgique, c’est à dire le patriarcat et ce qui est d’autant plus intéressant qu’on sait par ailleurs que c’est les pères qui sont les principales menaces pourles enfants. Les pères biologiques qui sont les principaux agresseurs dans les familles, les pères symboliques prêtres qui sontaussi dans le monde catholique des agresseurs importants des enfants. Alors
même que la défense des enfants était l’un des arguments principaux pour dénoncer le mariage pour tous.
JOSSELIN TRICOU – Finalement, la Manif pour tous a été un énorme moment de révélateur. Comme souvent, ces momentsun peu effervescent, comme dit Durkheim, que sont les mobilisations collectives. On a vu une sorte de pointe de l’iceberg, des groupes se constituent, comme les Hommen, par exemple. Donc, les Hommen étaient un petit groupe ultra minoritaire au seinde la mobilisation contre le mariage pour tous, mais qui, d’abord était en non-mixité masculine, se mettait torse nu pour manifester et faisait des actions un peu happening, un peu coup de force, quoi. Et en ce sens, ils incarnent, ils exemplifient complètement, cette espèce de réaction virile qui habite un certain secteur du catholicisme.
- Entretien en famille
ROZENN – Vous avez participé aux Veilleurs aussi, apparemment. CAPUCINE – Il pleuvait. C’est ce dont je me souviens qu’il pleuvait. ROZENN – Vous faisiez quoi aux Veilleurs?
CAPUCINE – Alors aux veilleurs, on était assis par terre et.
CHARLOTTE – Ça ressemblait vraiment effectivement à des veillées scouts. Je me souviens qu’on a chanté un chant scout qui s’appelle l’Espérance.
ROZENN – Vous vous en souvenez de ce chant? Vous voulez le chanter?
Charlotte et Capucine chantent –
« Le front penché sur la terre J’allais seul et soucieux, Quand résonna la voix claire D’un petit oiseau joyeux.
Il disait : « Reprends courage, L’espérance est un trésor Même le plus noir nuage
A toujours sa frange d’or. »
- Entretien avec Josselin Tricou
JOSSELIN TRICOU – Dans ce catholicisme d’identité et conservateur, il y a une vraie cohérence de socialisation entre lesdifférentes instances de socialisation. Les enfants, quand ils naissent dans ce genre de familles, ils entendent exactement le même discours dans le scoutisme, à l’école, en famille, à la paroisse et donc, en plus, il y a une sorte d’entre soi et très fort dansles relations amicales. Et donc, ils s’imaginent pas du tout, pas dutout, qu’on puisse vivre autrement. Donc ça, ça participe aussi à la difficulté pour un enfant qui se sentirait, pressentirait homosexuel, que d’autres modèles sont possibles.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – L’homophobie intégrée, ça s’est traduit dans une manière de me détester déjà. Etje crois qu’aujourd’hui encore,j’ai des restes de tout ça etje me disais que ça pouvait être… C’était pas bien à voir non plus. Quand j’ai commencé à l’assumer,je me suis dit que ce n’était pas non plus quelque chose que je voulais montrer au monde. Je ne voulais pas meprésenter comme quelqu’un de gay. J’ai pas envie d’être dans un milieu qui est que gay. Je ne me dégoûtait. Je n’aimais pas la façon dont je me comportais. Je me disais que ça avait l’air maniéré et que c’était dégoûtant. Il y a un truc qui reste à cacher.
ROZENN – Et tu me disais que tu t’étais acheté un maillot de bain?
AUGUSTIN – Oui. J’ai acheté ce maillot de bain, qui est assez sexy. C’est je pense de l’expérimentation, voir sije vais me trouver beau dedans d’une autre manière, épilé avec un maillot de bain un peu plus serré. Et ça,je l’ai acheté dans un magasin du maraisqui vend des sous-vêtements et des maillots de bain et qui est vraiment ciblé gay. Etje n’étais pas très à l’aise en magasin parceque du coup, comme j’y rentrais, eh bien,j’étais gay.
ROZENN – En même temps t’es dans le marais déjà.
AUGUSTIN – Je suis dans le marais, j’achète des moules bites. Evidemment, je suis gay, mais je sais pas. Là, il y a un moment dans le magasin,je n’étais pas bien. Je me suis dit, ah ily a des monsieur et tout. Ils vont se dire bah lui il est gay. Bah oui, mais jen’arrive pas à me dire bah oui. Ça fait un moment que je bloque. Même les vendeurs,j’étais en mode [prononcé avec une vofrgrave] « je prendrais ça svp ». Mais
c’est bête, c’est bête. Mais c’est des réflexes comme ça. Pas envie d’être gay. Des réflexes mauvais et intériorisés de je neveux pas être le gay de service.
AUGUSTIN – Je ne sais pas trop à quel moment j’ai commencé à me poser des questions parce que justement, j’ai nié pendantlongtemps que j’aurais pu être gay en pensant que c’était une phase et en me persuadant que c’était une phase. Je l’ai vécu trèsseul et personnellementparce qu’il y avait aucun gay autour de moi,je n’avais aucun modèle. Personne à qui parler à la fois desexualité parce que ce n’est pas une thématique qu’on aborde quand on est jeune, dans une famille comme un autre et d’amourou quoi que ce soit. Donc, j’ai tout fait très seul. Il faut dire que c’est passé par le porno. C’est vraiment comme ça que j’ai faitmon petit chemin dans ma sexualité. Mais pendant des années, quandj’étais au collège,je me disais encore que ce n’était qu’unephase, que je regardais ça parce que ça m’amusait plus sur le moment, mais que ça allait finir par passer et que j’allais pouvoirsortir avec une fille.
AUGUSTIN – En fait, c’est au lycée quand j’ai rencontré à partir de la seconde mon ami Baptiste, puis d’autres amis qui sontvraiment très ouverts, tolérants, qui ne pensaient pas du tout comme le milieu dans lequel j’étais et qui savait exprimer des idéescontraires à tout ce qu’on m’avait dit jusque-là. C’est à partir de là que j’ai commencé à me dire que je pouvais être gay, que cen’était pas grave. J’étais submergé par le truc et j’ai arrêté de nier après.
- Discussion entre Baptiste et Augustin
BAPTISTE, un des meilleurs amis d’Augustin – Le moment où on s’est rencontré? C’était après un cours de sport. Je mesouviens en septembre octobre, où tu étais assis sur un banc, t’sais devant la salle de sport etje suis venu en mode coucou! Salut, jevois que tu es tout seul et tout va partager ton goûter c’était trop mignon.
AUGUSTIN – Super. Je suis Saint-Martin.
BAPTISTE – Je ne sais pas qui c’est.
AUGUSTIN – C’est pas le gars. Il partage son manteau avec un pauvre.
BAPTISTE – Après moi, je suis le pauvre, super. AUGUSTIN – Non parce que le pauvre c’est Jésus. BAPTISTE – Je suis Jésus?
AUGUSTIN – Ouais, bah du coup ouai [rires]
BAPTISTE – Non mais c’était un moment que j’ai retenu.
AUGUSTIN – J’ai dû te complimenter sur sa coupe de cheveux. Et après, c’est parti.
- Entretien avec Baptiste
BAPTISTE – J’appréhendais un peu de faire mon coming out bi à Augustin, parce que j’en avais parlé avec les autres et quemes autres amis en commun. Etje savais qu’il avait une vision assez traditionnelle et catholique. Un peu cette idée-là des choses et que je n’osais pas trop aborder des sujets comme ça avec lui parce que… déjà, on n’en parlait pas. Et puis, je savaiscomment il évoluait et dans quelle famille il était. Quand ça arrivait sur des sujets comme ça, plus ouverts,je sentais qu’il y avait une résistance. Donc,je n’allais pas rentrer dans le sujet.C’était c’était le catho de bonne famille qui mettait des marinièreset des chemises en dessous de ses pulls, qui avait des Ray-Ban. Je suis en train de faire le portrait type. Littéralement, c’est comme ça qu’il était habillé et c’est comme ça qu’on trouve qu’on retrouve un peu le personnage.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – Du coup, en terminale,j’étais un peu insupportable, insensible. Je faisais en so1te de ne pas être lisible pour pasqu’on voie justement que j’étais gay parce que c’était vraiment un moment où j’arrivais plus à refouler et où, du coup,je gardaisça pour moi. Et donc, pour ne pas avoir à le dire aux autres,je me faisais passer pour un narcissogamme, un mec qui aime que sapropre personne et personne d’autre. Et donc j’étais infâme avec mes amis et avec beaucoup de gens et j’étais très, très égoïste.Egosexuel. C’était le terme que j’avais trouvé. C’était egosexuel.
AUGUSTIN – Et en arrivant à Paris oùj’étais,je trouvais ça confortable. Et donc,je me suis présenté à mon ami Théo comme ça,comme quelqu’un qui ne sait pas trop qui est peut-être hétéro. Enfin bref,j’aime surtout ma personne je suis attiré par
personne. Et en fait, au fur et à mesure, à l’École du Louvre,j’ai rencontré beaucoup de personnes gay, et j’ai fini par me faire un cercle d’amis avec plus de personnes LGBT que de personnes hétéros, et c’est devenu un safe space extraordinaire. Et donc, enquelques semaines, j’ai fini par assumer complètement que j’étais gay. En fait, c’est beaucoup plus libérateur que n’importe quelcamouflage d’egosexuel ouje sais pas quoi.
- Discussion entre Augustin et Baptiste
BAPTISTE – Aujourd’hui, je trouve Augustin déjà beaucoup plus ouvert et épanoui, et même dans sa façon d’être et de même deparler. Moi, je trouve qu’il est beaucoup plus à l’aise, beaucoup plus avenant. Voilà Mais ça fait vraiment plaisir de parler aveclui même à l’époque, mais là, vraiment, voir qu’il y a du chemin, du chemin qui a été parcouru et que tout est dans l’acceptation desoi. C’est qu’il n’y a pas changé du tout au tout, mais c’est devenu une grande personne quoi [rires].
AUGUSTIN – On se croirait dans une émission de télé, que je suis mort.
BAPTISTE – C’est mon grand Loulou, mon grand enfant.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – J’ai du malà trouver des modèles chez les hommes. J’ai eubeaucoup de modèles féminins dans ma vie. Ma prof defrançais de première a été un modèle pour moi parce que c’était… elle est très sensible, très éloquente. En littérature, elle étaitbrillante et donc elle a été mon modèle. Sinon mes modèles, je les prends chez mes amis parce que je les admire beaucoup. Monami Baptiste. Il fait partie de mes modèles masculins parce que très tôt, il a assumé qui il était et il a réussi à se positionner dansle monde comme il voulait l’être et à faire de son mieux pour s’assumer. Et il a eu beaucoup de courage pour annoncer à safamille qu’il était gay, pour après le vivre pleinement.
ROZENN – Est ce que ça a manqué dans le passé, de ne pas avoir de modèle masculin ou de figure paternelle ?
AUGUSTIN – J’ai l’impression qu’on m’a beaucoup dit que j’avais besoin de modèles masculins et que j’en manquais à cause de mon père qui, au fil des années, s’était révélé comme un personnage pas admirable. Donc, on m’a beaucouprépété que j’avais besoin de figures masculines, qu’il fallait que j’en trouve parce que j’étais adolescent et que c’était important d’avoir une figure masculine à l’adolescence. Ça fait aussi partie de tout ce qu’on nous dit,sans jainais justifier pourquoi,d’ailleurs. on n’a jamais dit pourquoi j’avais besoin d’une figure masculine. Et moi,je trouvais que j’en avais pas besoin que j’étais très bien avec mes petits modèles, avec ma prof de français, avec mes super amis et avec d’autres personnes que j’admirais. Ma mère,
elle fait partie de mes modèles aussi, mais j’étais très bien avec ça. Et pourtant, on m’a répété plusieurs fois que c’était importantdans une période de crise familiale et de crise, dans la relation avec le père d’avoir un modèle masculin. Mais je ne l’ai trouvénulle part.Parce qu’autour de moi il n’y avait personne qui pouvait servir de modèle masculin. J’admirais pas les hommes.
AUGUSTIN -Aujourd’hui,je n’ai pas le sentiment que ça m’a manqué,j’ai l’impression de m’être construit différemment, maisque je ne suis pas quelque chose de moins parce que je n’ai pas de modèles masculins. Et je n’arrive pas à concevoir ce qu’aurait pu m’apporter un modèle masculin dans ma construction. Qu’est ce que c’est censé apporter un modèle masculin dans laconstruction? Qu’est ce que ça change que j’ai eu une maman super, très présente et qui m’a beaucoup appris par rapport à avoirun monsieur qui est là, qui m’apprend,je ne sais pas quoi. Je suis très bien avec ce que j’ai reçu etje n’ai pas l’impression qu’il yait un manque.
AUGUSTIN – Je suis allé chez le psy pour parler de ça à l’origine, pour parler de ma relation avec mon père. De tout ce quej’avais vu, ce que j’avais vécu pendant la grosse crise qu’a traversée ma famille et donc j’étais censé parler de ça. Et c’est pour çaque j’y allais et que ma mère m’a encouragée à y aller. C’était pour dénouer tout, tout ce que j’avais sûrement beaucoup refoulé,en fait. Aujourd’hui,j’en suis à plusieurs, plusieurs séances et on parle très peude ça. On parle surtout de ma sexualité et de commentje peux mieux l’assumer. Comment je peux en parler à ma famille? Il m’a beaucoup aidée à l’annoncer à ma famille. Ca c’est pas tout à fait passé comme prévu, mais il m’a beaucoup aidé. Et donc, en fait, on en vient à parler de ma sexualité quede mon père, alors que c’était la raison pour laquelle j’allais là bas.
Merci à Isabelle, Charlotte et Capucine. Merci à Alain Ducousso-Lacaze. Et enfin, un grand merci à Augustin, pour sonengagement et la confiance qu’il m’a accordé tout au long des enregistrements.
Quouïr est une série conçue et réalisée par Rozenn Le Carboulec, produite par Nouvelles Écoutes, mixée par Marthe Cuny et coordonnée par GaïaMarty. Direction artistique Aurore Meyer-Mathieu. Lecture de texte de Sohan Pague. Prise de son parAdrien Beccaria à l’Arrière Boutique. Si vous avez une question ou commentaire à nous faire parvenir, rendez-vous sur les réseaux sociaux de Nouvelles Écoutes.