- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – Et du coup, moi j’étais chez mon psytoutes les semaines à préparer mes discours, à préparer commentj’allais leur annoncer, à me préparer psychologiquement. Et en fait,je n’arrivais jamais. Et donc c’est le podcast qui a été l’occasiond’envoyer un message à tout le monde en disant: Bon bah voilà, je suis gay,je suis engagé dans une émission oùje voudraisparler de comment j’ai grandi dans notre famille, notamment dans une famille qui a fait la Manif pour tous. Est-ce que vousvoulez participer pour qu’on puisse en parler? Et finalement, la discussion que j’aurais aimé avoir il y a des mois avec chacund’eux, eh ben on l’a maintenant, et ce n’est pas plus mal.
- Discours avec une musique
VOIX FÉMININE – Si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela, gardez la tête haute, vous n’avez rien à vousreprocher. Les vérités tuent, celles que l’on tait deviennent vénéneuses.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN -Alors j’ai préparé pendant plusieurs séances avec mon psy la façon dontj’allais parler à ma mère de ma sexualité parce que je revenais de temps en temps à Lille et on n’en parlaitjamais. Et il y a un week-end où je me suis dit que c’était le bon et qu’il fallait que je me lance et que je pouvais en parler au moins à elle. Parce que elle est psy. Elle accompagne… elle est thérapeute pour les couples, elle accompagne des couples gays et même elle est assez ouverte et c’estma mère donc je lui fais confiance. Donc je suis remonté à Lille en week-end et on a fait une fête le soir.
- Discussion entre Augustin et sa mère
ISABELLE – Bah ça faisait un moment que ça me titillait parce que je voyais bien qu’il vivait pas ses amitiés avec les fillescomme… ‘fin c’était des amitiés,justement, ce n’était pas… voilà. Je voyais bien qu’il n’était jamais dans la séduction avec les filles. Jamais. De là à dire qu’il était en séduction avec les garçons, non, çaje n’avais pas vu, mais je voyais bien qu’avec cesrelations avec les filles n’étaient pas… Ça s’inscrivait pas dans ce que j’avais l’habitude de voir dans la relation entre les garçons
et les filles. Et donc je m’étais dit il faut que je lui en parle si lui n’y pas à m’en parler. Moi,je veux lui en parler pour le libéreréventuellement d’un poids. Je préfère que les choses soient claires entre nous. Et on a fait une soirée, bien arrosée. On a dansé comme des fous, on avait beaucoup beaucoup bu.
AUGUSTIN – Et voilà, on dansait, on était quand même bien bien bourré et…
ISABELLE – … du coup tu n’arrêtais pas de me dire que tu m’aimais, c’était. C’était très agréable.
AUGUSTIN – J’avais oublié cette partie là.
ISABELLE – Que j’étais une Maman géniale que tu m’aimais. Et moi,je t’ai dit « J’aimerais que tu me parles ».
AUGUSTIN – Non! Non non non. Alors, elle se trompe dans l’histoire. Cela dit, moi, je ne me souviens pas de la partie oùjeluidisque je l’aime. En revanche, elle est venue me voir à un moment alors que je dansais et elle est venue me dire « Tu sais, j’ai reçu aujourd’hui un couple de femmes qui m’a parlé du mal qu’elles avaient pour annoncer à leur famille qu’elles étaientensemble et tout ça et du mal qu’elles avaient pour assumer finalement leur sexualité devant leur famille. Et elle m’a ensuite dit ..
ISABELLE – Je ne me souvenais plus de ça, mais c’est vrai.
AUGUSTIN – C’est comme ça qu’elle l’a abordé. Et ensuite, elle m’a dit « J’ai envie de te dire que peu importe qui tu aimeras, çane changera jamais rien à l’amour que j’ai pour toi. » Et c’est là que je lui ai dit qu’elle était la meilleure maman du monde et queje l’aimais et qu’on en reparlerait plus tard quand on serait sobre. Voilà. Et on a repris la soirée et c’est le lendemain qu’on a unegrande discussion en allant chercher le poulet du dimanche. On a marché et on a beaucoup discuté et c’est là que vraiment on a abordé le sujet et qu’elle m’a dit que ça faisait plusieurs années que elle avait remarqué que je pouvais être gay, qu’elle étaitcontente que je puisse lui dire et que j’ai parlé de ma vie en tant que gay. Surtout depuis que j’étais à Paris.
- Entretien avec Isabelle
ISABELLE – J’étais contente qu’il me le dise. J’étais contente qu’il puisse aussi me faire confiance. En tout cas, qu’ils aientsuffisamment confiance dans l’amour que je
lui porte pour pas avoir peur que ça puisse changer quoi que ce soit, ça. C’est comme s’il y avait une espèce de vitre qui étaittombée entre nous deux.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – Je n’étais pas très à l’aise pendant la discussion parce que du coup,je parlais pour la première fois de ma sexualité avec ma mère etje n’étais pas très à l’aise d’en parler. J’avais l’impression que ce n’était pas bien, que ça gâchait quelque choseentre nous, que j’allais la décevoir et que elle disait des trucs pour me rassurer, mais qu’elle les pensait pas forcément. Et donc, on aparlé comme ça de ma sexualité de commentje le vivais, de qui était au courant. Et ensuite,je comptais mettre mes frères etsœurs au courant tout seul, alors je me suis préparé avec mon psy à ça. Et en fait, ma mère a mis, mes frères sont au courant alorsque je lui avais dit ne pas en parler. Au départ, ça partait d’une bonne intention. Elle voulait justement les mettre au courant pourplus qu’ils prononcent des phrases qui pouvaient me blesser, elle voulait me protéger en faisant ça.
- Entretien avec Isabelle
ISABELLE – En fait, le problème de notre famille, c’est justement qu’on peut avoir des réflexions très homophobes régulièrement, etc. Moi,j’avais… j’avais pas envie qu’Augustin souffre. Donc, là, maintenant consciente et sachant que il était homosexuel,je tenais à avertir ses sœurs et son frère pour qu’ils le ménage, quoi qu’ils fassent attention à leurs propos, qu’ils fassent attention à lui.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – Et au départ, j’étais plutôt satisfait de l’apprendre parce que je me suis dit « c’est bon,je suis débarrassé. Moi,je n’ai pas à leur dire ». Et en fait,j’ai commencé à paniquer parce que l’information n’était plus dans mes mains. Le pire, ça a étéque même si mes frères et sœurs étaient au courant, j’ai pas réussi à venir vers eux pour leur en parler et eux ne sont pas venusvers moi pour m’en parler.
Pendant plusieurs mois, on est restés dans un silence comme ça, où je savais qui savait et ils savaient que je savais. Et c’estfinalement le podcast qui m’a permis de leur en parler. Parce que la première fois que j’ai parlé de mon homosexualité à ma famille, ça a été pour leur proposer d’intervenir dans le podcast. Les réponses n’étaient pas tout à fait celles que j’attendais. C’est-à-dire que j’étais content parce
que d’un côté, ma mère a dit oui pour participer. Mes sœurs ont dit oui, mais il n’y a pas eu non plus d’accueil de ce que je leurdisais. Et en fait, il n’y a pas eu un mot pour me dire « on est content que tu puisses nous en parler. C’est bien que tu puisses enfinnous le dire. Et maintenant quand on en reparle parce qu’on en a reparlé quelque fois avec eux à l’occasion, voilà, le podcastdevient un prétexte pour parler de ma sexualité avec ma famille. Et maintenant, on me ressort le même discours. Ça ne changerien pour moi. Je m’en doutais. Je t’aime toujours.
AUGUSTIN – Et en fait moi face à ça,je suis content. Super on m’aime. Mais je trouve ça pas satisfaisant parce que derrière lapensée… enfin, la façon dont ils jugent les gays reste la même,je pense. Je veux dire, moi, en tant qu’individu, ils m’aimenttoujours parce que je suis leur frère et ça change rien pour eux. Mais en soi, y’a toujours la même méfiance vis-à-vis des gays, jepense. Il y a toujours les mêmes opinions sur les droits qu’on accorde aux gays, la façon de penser la communauté et y a une manière d’ignorer un petit peu les souffrances aussi que j’ai pu avoir, les difficultés que j’ai pu avoir à me construire et àm’assumer. Et c’est assez compliqué du coup aujourd’hui, d’essayer de leur faire réaliser que oui, ça apu être compliqué de vivreavec ce modèle-là, de grandir dans une famille comme la nôtre et qu’en fait, on a des chemins complètement différents et que ouiils m’aiment toujours, mais en fait j’aimerais bien qu’ils comprennent. je ne veux pas qu’ils s’excusent. Je veux pas qu’ilsregrettent, mais je veux juste qu’ils s’imaginent ce que ça a pu être, qu’ils comprennent et qu’ils minimisent pas.
- Paul B. Preciado dans « Un appartement sur Uranus » au édition Grasset
LECTURE: L’homosexualité est un sniper silencieux, qui colle une balle dans le cœur des enfants des cours de récréation.Il vise, sans chercher à savoir s’ils sont gosses de bobo ou de catholique intégriste. Sa main ne tremble pas. Ni dans les collèges du 6ème arrondissement ni dans les zones d’éducation prioritaire. Il tire avec la même précision dans les rues de Chicago, les rues d’Italie, ou les banlieues de Johannesburg. L’homosexualité est un sni.per aveugle comme l’amour éclatant comme un rire et aussi tendre qu’un chien. S’il se lasse de prendre des enfants pour cible, il tire une rafale de balles perdues qui vont se loger dans le cœur d’une agricultrice, d’un chauffeur de taxi, d’un chanteur hip-hop, d’une factrice pendant sa tournée. La dernière balle a atteint une femme de 80 ans dans son sommeil.
- Entretien avec Joseph Agostini
JOSEPH AGOSTINI – Joseph Agostini, psychologue clinicien, psychanalyste et vice-président de l’association Psy Gay.
JOSEPH AGOSTINI – J’ai reçu des jeunes LGBT qui ont été symboliquement maltraités par leurs parents dans la mesure où c’étaient des parents qui, sous prétexte de culture chrétienne et d’engagement d’idéaux chrétiens, ne voulaient pas voir ce qui se cachait derrière le mal-être de leur enfant C’est-à-dire qu’ils s’acharnaient à voir autre chose qu’un questionnement identitaire alors qu’il n’était question que de ça. Ils mettaient en quelque sorte le sexuel sous un mouchoir. Mais il y a quelque chose d’unehomophobie intériorisée chez l’enfant à ce moment-là, puisqu’il va comprendre quelque chose, il va comprendre qu’il ne pourrajamais en parler. Combien de patients, par exemple, n’ont pas parlé à leur famille de leur orientation sexuelle alors qu’ils en ont parlé au travail, alors qu’ils en ont parlé à leurs amis, alors qu’ils sont en couple depuis des années?
JOSEPH AGOSTINI – Alors, l’homophobie intériorisée, c’est tout simplement l’intériorisation des valeurs homophobes de l’autre. Si votre père traite systématiquement de pédé ou de gouine les personnes homosexuelles qu’il voit à la télévision, vousallez rester, si vous l’êtes vous-même, si vous êtes LGBT, vous allez rester sidérés sur votre canapé le dimanche après-midi aveclui. Et puisvous allez vous dire – tout ça se fait extrêmement rapidement et puistout çase fait très jeune – que votre papa, vousl’aimez et que vous devez être à la hauteur de ses idéaux et de ses valeurs. Donc, il va y avoir un déni forcené de votre identité etil va y avoir une identification, très défectueuse, sans doute, à ce père. On veut à la fois lui ressembler. Et puis, émotionnellementparlant, il y a quelque chose qui va à l’encontre de cet idéal. Donc, ça donne des personnalités boiteuses, ça donne despersonnalités qui vont essayer de se bâtir sur un déni, sur un mensonge et surtout sur une haine, la haine de l’autre qui devient la haine de soi, puisque nous ne pouvons pas, si nous allons à contre-courant de notre orientation, nous ne pouvons pas nousaimer. Nous ne pouvons pas éprouver notre corps convenablement.
JOSEPH AGOSTINI – Alors, en ce qui concerne la Marùf pour tous, il y a quelque chose de très particulier puisque l’enfant quiest amené à la Manif pour tous est peut être homosexuel. Il y a peut-être chez lui, en tout cas, un questionnement identitaire. Jedis aux homosexuels, mais je réduis moi-même le problème dans la mesure où il peut être trans, il peut être bi. Il peut en tout casêtre convoqué dans une différence identitaire. Donc, cet enfant là, à partir du moment où on l’amène dans une manif de cettecouleur là, il va forcément être en état de dissonance cognitive s’il est, puisqu’il va devoir affronter cette masse compacte de genspolitiquement et éthiquement en défaveur de ce qu’il est, du chemin qu’il est peut être en train de prendre. Donc, il y a une grandeune extrême violence symbolique là-dedans, puisque cet enfant va être
forcé par les parents à venir dans un lieu qui lui est hostile. Donc, à ce titre là, évidemment, il y a quelque chose d’un impacttraumatique.
JOSEPH AGOSTINI – Je crois qu’il s’agit de le dire, les personnes LGBT sont quand même dans ce type de familles exposées au suicide, surtout pour la bonne et simple raison qu’elles ont entendu dire leurs familles qu’il valait mieux se suicider si on étaitdifférent. C’est dans le discours. C’est pas seulement dans les pensées et dans l’inconscient parental. Ça peut être tout à faitverbalisé dans un repas de famille : c’est-à-dire l’homosexualité, c’est impensable. C’est l’homophobie qui crée le suicide, qui faitle lit des dépressions, qui fait le lit des addictions.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – Je ne sais pas si j’ai été traumatisé, ça a eu des impacts et c’est aujourd’hui que le traumatisme se ressent dans lesens oùje m’en veux d’avoir fait du mal à des gens en participant à la Manif pour tous. Et de m’avoir fait du mal à
moi-même etje m’en veux d’avoir pris part à ça. Et c’est comme ça que je suis traumatisé. J’ai l’impression de devoir me racheter de quelque chose. Je ne me sens pas bien vis-à-vis de la communauté LGBT d’avoir participé à ces manifestations contre leurs droits.
ROZENN – Et tu dis que les rares fois où vous en avez reparlé récemment, ça s’est mal passé, c’est-à-dire?
AUGUSTIN – Les rares fois où on en parlait, ça s’est assez mal passé parce que j’essaie de leur faire réaliser ce que ça peut êtreaussi de vivre dans la communauté gay, qu’on est aussi victimes d’homophobie, que moi j’ai été victime de violence, que j’ai étéagressé. Et ce genre de violence, comment on le ressent, comment ça nous impacte, c’est compliqué de le faire… de letransmettre, de le faire comprendre à quelqu’un qui ne vit absolument pas ça au quotidien. Et c’est ce qui fait que dans nos échanges, parfois, on a du mal à rester calme parce que moi j’ai besoin de faire comprendre à ma famille que être gay c’est pasune anecdote. Ce n’est pas un truc de « ouais on t’aime encore, t’inquiète, c’est rien pour nous on le met au placard ». Ça détermine une vie.
- Paul B. Preciado dans « Un appartement sur Uranus » au édition Grasset
LECTURE : Pour ceux qui ont le courage de regarder la blessure en face, la balle devient la plaie d’un monde dont ilsn’avaientja.J.nais rien vu auparavant. Les rideaux s’ouvrent, la matrice se décompose. Mais parmi ceux qui portent la balle dans la poitrine, quelques-uns décident de vivre comme s’ils ne sentaient rien.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – C’est ma mère qui m’a encouragé à aller chez le psy parce qu’elle pensait que c’était un moment important de mavie, que je devenais adulte et donc que c’était important que je dénoue certaines choses, qu’il m’était arrivé avec mon père et doncj’ai cherché un thérapeute.
- Entretien avec Isabelle
ISABELLE – J’ai été accompagnée par des prêtres pendant très longtemps avant d’aller voir un psychologue.
ROZENN – Est ce que vous avez trouvé le soutien que vous souhaitiez auprès des prêtres et de l’aide ?
ISABELLE – Alors moi, pendant 8 ans en fait à Douai, j’ai été accompagnée du coup par… par des prêtres. Neuf ans, neufans même. Ce père dominicain, c’était un vrai soutien. Malheureusement, il est décédé. Donc après, j’ai été plus proche d’un autre prêtre. Il me soutenait dans la mesure où il m’écoutait beaucoup et… et il était très compatissant quand il m’écoutait. Maisà aucun moment, il me disait « Mais attends va t’en. » Non, il fallait que je reste là, que je subisse, que je porte ma croix.
ISABELLE – En revanche, après, quand moij’ai déménagé à Lille, làj’ai été accompagnée par une religieuse. Une femme. Quidevait avoir 75 ans. Elle, elle m’a dit que j’étais en train de me détruire. Elle, elle m’a dit que les choix que je faisais, c’étaient deschoix de mort à moi-même. Voilà. Et que je devais choisir la vie. À aucun moment elle m’a dit: « Quitte ton mari », mais elle m’aouvert les yeux sur le fait que ce que je vivais me détruisait. Alors qu’auparavant, en fait on me disait tout le temps « sois forte ».C’est le message qu’on me renvoyait: « Ce que tu vis, c’est dur. Sois forte. On te fait confiance. T’es forte ». Ce qui n’est pas fauxqu’il fallaittenir hein 23 ans. Effectivement je suis forte.
ISABELLE – Je n’ai plus envie d’être forte, en fait, etje crois que c’est le moment où je me suis dit mais en fait, moi j’en ai marre d’être forte. J’ai commencé à m’écouter, moi, et à effectivement choisir la vie que j’ai trouvé la force de partir.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – J’ai tourné très brutalement la page de mon père dans ma vie. Il est plus là. Je prends très rarement à lui. Je ne meconstruit pas par rapport à lui. Plutôt
en opposition sur certains points. Mais non, je n’ai pas forcément besoin de travailler plus sur ma relation absente avec mon père.
AUGUSTIN – Ce que j’ai besoin de dénouer, c’est la communication avec ma famille et j’ai besoin de parler de comment avoir grandi dans une famille catho qui fait quand même beaucoup de… enfin qui place le catholicisme au centre de sa vie, ça, c’est pas forcément bon. Je veux dire, le modèle catho est pas le meilleur pour la construction de l’enfant. Parce que du coup, ilrefoule des gays, il refoule des lesbiennes, des personnes transgenres. Il empêche énormément de monde de s’exprimer et doncce modèle-là et tout ce quiva avec de Manif pour tous et donc d’homophobie intégrée, de scoutisme et d’idées de la masculinité,tout ce modèle-là, en fait, il empêche des personnes de s’exprimer et de vivre librement comme ils le souhaitent. Moi,je penseque ce qui m’a manqué, c’est ça, c’est d’avoir une ouverture et qu’on m’ait laissé la possibilité de ne pas être comme mes frères etsoeurs, de ne pas être comme les autres personnes du milieu dans lequel on a grandi, d’être gay.
- Isabelle présente son cabinet à Rozenn
ISABELLE – Voilà. Ici, c’est la salle d’attente que je partage avec l’avocat et l’agence immobilière qui ont leurs bureaux de l’autre côté. Et ici, c’est mon bureau. Voilà.
ROZENN – Là c’est votre diplôme, que j’ai vu là.
ISABELLE – Oui c’est mon diplôme, c’est un certificat de formation en fait.
ROZENN – Obtenu en 2016.
ISABELLE – Eh ben voilà, oui comme ça on a la date. Janvier 2016. Mon ex-mari n’était même pas là à ma soutenance. C’est un collègue de travail qui est venu avec moi et quand je suis rentrée à la maison il était même pas là non plus. J’ai commandé despâtes pour fêter ça avec mes enfants. Un an après,je luidisais bye bye, ras-le-bol. Parce que même ça, il était pas d’accord aveceux, alors que pour moi, c’était… c’était génial.
ROZENN – Et pourquoi vous avez choisi particulièrement la thérapie de couple et familiale?
ISABELLE – C’était le titre de la formation. C’était ça, c’était d’abord familial. Et puis, en fait, il se trouve que quand on fait de la thérapie familiale, on reçoit essentiellement des couples. Au départ, c’était familial, donc c’était plus le lien au sein de lafamille, les liens, les relations au sein de la famille. Je pense que c’est un
thème que j’ai à cœur. J’ai…Moi,j’ai vraiment à cœur que que les relations soient saines dans une famille, ça ne veut pas dire qu’on soit tous pareils et toujours d’accord, mais qu’on arrive à se le dire, qu’on arrive à s’accepter dans nos différences. Je penseque c’est des valeurs auxquelles je tiens etje pense que c’est pour ça que j’ai fait ça.
ROZENN – Est-ce que vous recevez beaucoup de couples homosexuels?
ISABELLE – Beaucoup, non, mais j’en reçois. Très régulièrement.
ROZENN – Mais est-ce que cela vous ouvre les yeux?
ISABELLE – Ça me fait surtout prendre conscience que la vie de couple est la même qu’on soit homosexuel ou hétérosexuelet que les problématiquessont les mêmes. Ils sont confrontés aux mêmes problèmes. Exactement.
- Entretien avec Alix Béranger, militante féministe et lesbienne qui a participé en
2012 à lacréation du collectif « Oui oui oui » pourl ‘adoption, le mariage et la PMA
ALIX BÉRANGER- Moi,j’ai toujours envie de m’adresser aux parents de ces enfants de la Manifpour tous. J’ai envie deleur dire « il n’y a pas de honte à s’excuser, il n’y a pas de honte à dire qu’on s’est trompé. Il n’y a pas de honte à entamer, même à 50 ans après 50 ans de vie catholique conservatrice… il n’est jamais trop tard pour faire un examen de conscience, ni pour commencer un travail en thérapie. Il n’est jamais trop tard pour déconstruire ». Moi,j’ai envie de leur dire « arrêtez de vous draper dans cette illusion de vous-même : ‘Je ne suis pas homophobe’. Écoutez en face, on vous dit que vous vous êtes homophobe. Est-ce qu’à unmoment donné vous ne pouvez pas juste examiner notre proposition? Àun moment donné ce serait intéressant qu’ils se disent « attends il y a des gens concernés qui trouvent que on est haineux envers eux. » Donc, au lieu de s’en défendre, ça serait quand même intéressant que eux fassent ce travail. Moi, si on me disait que tu veux que je suis raciste, je serai choqué. Je me dirais merde, ça va contre mes idées. Mais si des personnes racisées me disaient « Alix, je tetrouve raciste », bah oui, je m’arrêterais deux minutes pour examiner mon comportement parce que si elles elles ont perçu quelque chose de raciste, elles sont concernées au premier plan, probablement qu’il y a quelque chose de juste. Donc la çam’interpelle que ces personnes là ne se disent pas « les gens concernés, les gens LGBT se sentent violentés par nous. OK,donc on a
un SOUC•I ».
- Entretien avec Augustin ses soeurs et sa mère
ROZENN – Est ce que pour autant, est ce que vous regrettez aujourd’hui d’être allé à la Marrif pour tous?
CAPUCINE -Aujourd’hui,je ne regrette pas d’être allé à la Manifpour tous parce que quand j’y suis allée, je réalisais pas ce que je faisais. Aujourd’hui, je n’y retournerai pas.
CHARLOTTE – Donc, je répondrai un peu la même chose que Capucine. Non, je ne regrette pas d’avoir participé à cetteépoque-là. En revanche, je n’y retournerai pas aujourd’hui. Déjà parce que je pense que ça blesserait énormément Augustin etque je n’ai pas envie de le blesser et qu’en plus, j’ai évolué. Et la dernière que j’ai faite il y a un an et demi ou deux ans et oùdonc,j’ai pris conscience de la violence qu’il pouvait y avoir à l’intérieur, 1111a un peu vaccinée, en quelque sorte de ces manifestations-là. J’ai plus envie d’être dans cette communauté-là. Si on peut parler d’une communauté.
ROZENN – Et vous Isabelle ?
ISABELLE – Non, moi. Exactement comme mes filles. Je regrette pas d’y être allée parce qu’à l’époque, voilà, puis je trouveque c’est peu constructif d’avoir des regrets, donc je ne regrette pas d’y être allé. En revanche, c’est une évidence que je n’y retournerai pas.
ROZENN – Est-ce que maintenant, avec du recul, vous comprenez que Augustin ait eu le sentiment, justement, de ne pas existerdans cette société, dans votre famille ou de ne pas pouvoir exister tel qu’il était?
ISABELLE – Ah bah oui c’est sûr.
CAPUCINE – Eh oui, çaje comprends que soit pas senti à sa place dans notre famille, avec toutes ces remarques tout le temps.Ça, c’est clair.
AUGUSTIN – C’est pour ça qu’on est là. C’est parce que je ne veux pas partir très loin. Je préfère qu’on en parle, mais je …
CHARLOTTE – … justement, et c’est super bon. Ce qu’onvit là, c’est de pouvoir… de pouvoir en parler assez librement quandmême pour mettre les choses à plat, se rendre compte que oui, on a pu être blessant sans faire attention. Qu’on a pu t’empêcher d’être ce que tu devait être, nous-mêmes aussi s’empêcher de ce qu’on devait être. Tout ça parce qu’on était dans ce schémafamilial là qui est quand même effectivement du côté de maman, extrêmement ancré. Après,je pense qu’il y a des choses trèsbonnes dans ce modèle, mais aussi des choses qui sont extrêmement blessantes et qu’il faut… qu’il faudrait réussir à faireévoluer. C’est peut être notre rôle aujourd’hui dans la famille en arrondissant les angles, bien sûr, pour ne pas créer l’effet inverse qui serait une explosion. Tu vois?
ISABELLE – Oui ou du rejet. Parce que tu sais bien que quand tu parles, tu rentres plus dans le moule, bah t’es rejetée, ne serait-ce que moi en divorçant et en me remettant avec quelqu’un. Voila,j’ai quand même été rejeté par mes parents. Enfin,
t’es quand même rejeté. Et ça, c’est quand même aussi super super dur. Après, mes parents ne sont peut-être pas capables d’autre chose. Il faut peut être pas non plus attendre d’eux autre chose. Ce qui compte, c’est que nous en tout cas, on se sente capable d’autre chose et que déjà entre nous, on avance.
- Bilan avec Augustin qui fait un retour sur l’enregistrement avec sa mère et ses soeurs
AUGUSTIN – J’ai trouvé l’enregistrement avec ma mère et mes sœurs très intéressant, très enrichissant, etje suis content qu’onait pu avoir cette discussion. On ne peut pas être d’accord sur tout. Je ne peux pas les changer parce que ce n’est pas mon rôle et même du droit de personne de faire changer les gens. Mais je suis content qu’on puisse au moins discuter paisiblement decertains sujets et leur faire réaliser certaines choses que j’aurais du mal à raconter, sinon. Et voilà, ça fait du bien etje pense qu’on en ressort tous grandis.
ROZENN – Est ce que tu penses que ça va ouvrir de nouvelles discussions dans ta famille?
AUGUSTIN – Oui, oui,je pense que ça va amener des discussions avec plus de monde. Par exemple, elles ont dit que peut-êtreque maintenant s’il y avait des remarques insultantes. On pourrait reprendre la personne, faire comprendre que ce n’est pas l’ambiance qu’on veut donner aux repas de famille. Donc ça, c’est bien. Ça va sûrement amener des discussions. Sûrement desdiscussions un peu houleuses. Vu le genre de personnes qui pourraient faire ces remarques-là et qui aimeraient pas entendre desremarques sur leurs remarques. Je suis pas très clair. Qui aimeraient pas entendre des réprimandes sur leurs remarques,je pense, dans ma famille. Mes grans-parents… j’ai des oncles et tantes qui aimeront sûrement pas entendre des réprimandes. Mais si je vois que je ne suis pas tout seul et que mes sœurs, ma mère peuvent montrer qu’elles ne sont pas d’accord avec ce quiest dit et bien sûr, j’arriverais encore plus à m’assumer dans la famille et comme je me sentirai soutenu, je me chargerait aussi defaire comprendre aux gens qui font des remarques désobligeantesqu’il ne faut pas le faire. Qu’il y a des personnes que ça blesse,comme la Manif pour tous a blessé des gens.
- Paul B. Preciado dans « Un appartement sur Uranus » au édition Grasset
LECTURE: Il n’est pas difficile d’imaginer que parmi les adultes qui participent aux manifestations de la colère, certainsportent, enkystée dans leur plexus, une balle ardente. Par simple déduction statistique et connaissant la virtuosité des snipers,je sais que certains de leurs enfants portent déjà la balle au cœur. j’ignore combien ils sont, quel est leur âge, mais je sais quecertains d’entre eux ont la poitrine qui brûle. Ils portent des banderoles qu’on a mises entre les mains qui disent « ne touchez pasà nos stéréotypes ». Mais ils savent qu’ils ne pourront jamais être à la hauteur de ces stéréotypes. Leurs parents hurlent que lesgroupes LGBT ne doivent jamais rentrer dans les collèges, mais ces enfants savent que ce sont eux, les porteurs de la balle
LGBT. La nuit, comme quand j’étais enfant, ils vont au lit avec la honte d’être les seuls à savoir qu’ils sont la déconvenue de leursparents. Ils vont se coucher avec la peur de ce que leurs parents les abandonnent s’ils apprennent ou préfèrent encore qu’ilsmeurent. Ils rêvent peut-être, comme moi avant eux, qu’ils s’enfuient dans un pays étranger, dans lequel les enfants qui portent laballe sont les bienvenus. Etje voudrais dire à ces enfants : la vie est merveilleuse, nous vous attendons, ici, nous sommes nombreux, nous sommes tous tombés sous la rafale, nous sommes les amants aux poitrines ouvertes. Vous n’êtes pas seul.
- Entretien avec Augustin
AUGUSTIN – C’est vrai que je n’ai pas rencontré de gens qui ont eu le même parcours que moi et qui sont gays de lacommunauté LGBT, et venant d’une famille catho à l’enseignement traditionnel. J’en connais pas. Je ne sais pas comment d’autres personnes ont pu le vivre. Si ça se trouve, il y en a qui sont toujours en refoulement, qui l’assumeront jamais. Là pour lemoment j’en connais pas. Je peux partager ça avec personne, mais je pense que c’est important parce qu’on a forcément tous deschemins différents alors qu’on vient du même endroit. Et donc, c’est important d’en parler et j’aimerais bien en parler.
Merci à Isabelle, Charlotte et Capucine. Merci à Alain Ducousso-Lacaze. Et enfin, un grand merci à Augustin, pour sonengagement et la confiance qu’il m’a accordé tout au long des enregistrements.
Quouïr est une série conçue et réalisée par Rozenn Le Carboulec, produite par Nouvelles Écoutes, mixée par Marthe Cuny et coordonnée par Gaïa Marty. Direction artistique Aurore Meyer-Mathieu. Lecture de texte de Sohan Pague. Prise de son par Adrien Beccaria à l’Arrière Boutique. Si vous avez une question ou commentaire à nous faire parvenir, rendez-vous sur les réseaux sociaux de Nouvelles Écoutes.