AYA- Moi, c’est Aya, j’ai 23 ans. Mes pronoms sont iel, accord masculin et mon rapport à la Manif pour tous… Disons que c’estun très mauvais souvenir. Et puis il y a beaucoup de colère aussi.

LOUISE – Je m’appelle Louise, mes pronoms c’est elle et iel. J’ai 22 ans et mon rapport à la Manif pour tous : de mauvaissouvenirs, des traumas je pense aussi. Et de très mauvais rapports avec une famille ultra catholique.

JULIE – Et moi, c’est Julie,j’ai 28 ans, mes pronoms c’est elle et mon rapport à la Manif pour tous c’est ce qui signe ma sortie de ma famille. C’est ce qui signe l’arrêt de la relation avec ma mère et la fin de la rupture de tout lien avec la religion.

AUGUSTIN – Et moi, c’est Augustin. J’ai 19 ans, mes pronoms c’est il, et la Manif pour tous pour moi c’est un moment, au début de l’adolescence, où j’ai accumulé beaucoup de violences contre la communauté LGBT et du coup contre moi-même.Et donc, ça a eu beaucoup de conséquences, plus tard, dans ma construction.

VOIX FÉMININE – Si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela, gardez la tête haute, vous n’avez rien à vousreprocher. Les vérités tuent, celles que l’on tait deviennent vénéneuses.

ROZENN -Augustin, est-ce que tu veux expliquer ce qui t’a donné envie de les réunir, de vous réunir tous aujourd’hui?

AUGUSTIN – Eh bien ça fait quelques années que je réfléchis sur le fait que je suis allé à la Ma.nif pour tous et que jepeux en parler avec personne qui l’a fait aussi.

C’est-à-dire que je m’adresse à des gens qui sont tolérants, qui acceptent de m’entendre et tout ça, mais qui l’ont pas vécu. Etdonc,j’avais à cœur quand même de

rencontrer des gens et de créer un réseau d’échanges et de contacts et sûrement de soutiens aussi entre personnes qui l’ont vécu. Pour moi, c’était important qu’on puisse se réunir. Et aussi, c’est important d’entendre, d’entendre plusieurs témoignages parceque l’on n’a pas tous et toutes vécu de la même manière. Les familles n’ont pas eu la même réception et donc il faut entendreune multitude de témoignages pour avoir pour se faire un avis fondé sur ce que c’était la Manif pour tous pour les personnes LGBTQIA+.

JULIE – Juste pour préciser le truc, donc moi, j’ai pas votre âge, je suis un peu plus vieille. Moi j’ai pu m’opposer à ma mèrequand elle m’a demandé de participer. Parce qu’à l’époque,j’avais 18 ans et j’ai écrit une longue lettre au prêtre de la paroisse pour lui expliquer pourquoi c’était pas OK d’appeler à marcher et ensuite je suis partie de chez moi. De chez ma mère et de ce jour-là,je n’ai plus jamais reparlé à mes amis de l’époque. J’ai pasexactement le même vécu dans le sens où moi on m’a pas emmenée là-bas donc je suis peut-être un petit peu plus chanceuse de ce côté-là.

LOUISE – Moi pour rebondir à ce que t’as dit,je nesuis pas allée aux manifestations, mais en gros moi ça a vraiment été un mouvement sur plusieurs années qui s’est installé dans les vies des familles de la paroisse. Et du coup, dans ma vie aussi,etje suis amené à beaucoup plus de choses derrière. Beaucoup ont été bien pires que les violences pendant la manif, qui on pu mener à différentes ‘fin une demande d’investissement énorme dans tout ce qui est des servants d’autel, scoutisme ou je me faisais bien tabasser, et ce qui a mené aussi à des thérapies de conversion, ce qui a aussi mené à un harcèlement massif par plein de gens au lycée. Et la violence dans la famille aussi beaucoup.

JULIE – Toi t’avais quel âge?

LOUISE – J’étais en fin collège sije me trompe pas.

JULIE – Donc aucune possibilité de partir de toi-même en fait. C’est vraiment un âge où tu doisvivre chez tes parents donc t’es pas… tu peux pas claquer la porte quoi.

LOUISE – Bah en fait mon père est très vite parti pour divers problème psy et de toxicomanie. C’est un détail important parce que c’est un truc qu’on m’a mis sur le dos pour me faire comprendre que c’est juste un trauma l’homosexualité ou autre et quec’était juste lié à ça. Bah ma mère, c’est à ce moment-là aussi qu’elle s’est rapprochée de mouvements comme la communauté deSt Jean. Elle est tombée dans une paroisse qui était en fait une secte et aussi du coup la communauté de l’Emmanuel. Et puis yavait une pression immense, comme si je devais être un pilier qui devait être tout le temps là, mais quand c’était pas ça, c’étaitviolence sur

violence… Donc ouais, moi c’est pas les Manif, ‘finje l’ai pas vécu par la Manif mais plus par le mouvement qui s’est inséré dans toute cette communauté catholique.

AYA- Moi,je l’ai vécu par les manifs, mais les manifs, c’est.. à monavis en tout cas, c’est vraiment la partie émergée de l’iceberg,en fait Parce que, comme tu disais Louise, la violence, elle était partout en fait Enfin la violence contre nous, elle n’était pas justedans les manifs. En manifs elle était visible en fait, enfin elle était à visage découvert. Alors que nous, dans nos églises, dans lemilieu protestant, c’était beaucoup plus… à demi-mot Dans l’église de mes parents, il y a des groupes pour les jeunes où on va,donc il n’y a pas de catéchisme et c’est un peu l’équivalent, mais pendant le passage du culte, il y a une partie où les enfants s’envont pour avoir leur propre groupe. Et en gros, c’était aussi dit à demi-mots dans ce moment-là, on a eu beaucoup plus dethématiques sur la famille, sur l’importance du mariage, sur l’importance de l’abstinence, sur l’importance de venir parler à unadulte si on avait des pensées déviantes. Et c’était vraiment insidieux. C’est-à-dire que les manifs, moi, j’en ai fait une. Onm’a amené à une manif et oui, c’était violent, mais c’était violent à visage découvert. C’était pas violent en sous-main commec’était le reste du temps en fait.

JULIE – Et moi il y a quelque chose que je me demande en vous écoutant tous parler, est-ce que vous saviez déjà à l’époque que vous étiez queer? Parce qu’en fait moi,je le savais pas. Moi je savais pas que j’étais lesbienne et en fait, moi si j’en veux à la Manif pour tous et de façon plus générale, à la façon très traditionnellement catholique par laquelle j’ai été élevée par ma mère, si j’aiaccumulé énormément de colère contre tout ça, contre tout cetordre établi, c’est parce qu’en fait, moi, ça m’a privée d’une partiede moi pendant des années, c’est-à-dire que j’ai toujours été dans des écoles catholiques. On allait à la messe tous les dimanches :bénédicité avant chaque repas, ‘fin je vous apprends rien, les scouts… La totale, vraiment. Mes frères, ils étaient enfants de chœur. Moi,je chantais tous les dimanches à l’église. Tout ça pour dire que j’ai… je ne suis pas beaucoup sortie de ce moule-làavant de partir à 18 ans. Et en fait,je n’ai donc connu que des gens comme ça, que des gens qui nous ressemblaient. Et parexemple, dans mon école, il y avait… il n’y avait pas… Si, bien sûr, qu’il y en avait, aujourd’hui,je m’en rends compte, mais en tout cas, il y a avait une invisibilisation totale du fait qu’on pouvait être autre chose que cis hétéro. Et en plus de ça, cis hétéroblancs parce que moi, j’ai grandi à Bordeaux et que franchement, dans les écoles catholiques à côté de Bordeaux, pas beaucoup de personnes racisées. Donc, en fait, ‘fin c’était vraiment que des gens comme nous. Je pensais comme moi et moi,j’ai attendud’être… arrivé à Paris à 25 ans. J’avais un mec, à ce moment-làje pensais que j’étais hétéro etje rentre dans une soirée et en fait,elle est là, en face de moi, et là mon monde il s’écroule, vraiment, parce que je me dis « Mais putain mais c’est ça en fait, c’est çadepuis le début ». Et en fait, j’avais

25 ans et là, et vraiment, j’étais déjà très en colère contre ma mère à cette époque-là. Mais depuis trois ans que du coup je suisavec des filles, c’est décuplé en fait.

LOUISE – Pour te dire moi, du coup,je l’ai toujours su enfin depuis toujours, mais je l’ai toujours refoulé. En plus, quandj’étaisenfant,je me voyais femme quandj’étais adulte. J’avais une vision de… enfin bref c’était bizarre et est arrivée à ce moment où j’étais à Lourdes pour le pèlerinage de ma confirmation avec tous les jeunes du diocèse. Et il y a eu la musique « Only Girl » deRihanna et je me suis mise à danser dans le bus avec des copines. Il y a une fille qui m’a regardé et elle me fait « mais Louis t’espédé » et là,j’ai euun déclic en mode: « Tu peux plus te le cacher j’ai compris ». Et en fait, les gens l’ont avant que moi,je me disebah c’est bon,je peux l’accepter. Tout l’entourage a pris le relais et a fait en sorte que je ne puisse pas le réaliser, l’accepter.

JULIE – Moi j’ai une question. Augustin, tu penses quoi, toi en nous entendant tous et toutes?

AUGUSTIN -Mais je pense à plein de choses. Je pense à plein de choses. Ça m’émeut beaucoup parce que c’est plein de peineset de souffrances, et aussi de courage. Je pense qu’il faut pas avoir peur de se considérer comme une victime parce que c’est… c’estpas non plus un statut qu’on se donne qui est définitif. Mais je pense qu’il faut passer par la case de se dire qu’on a été victime dequelque chose pour après, essayer de penser à quel point on est plus forts ou plus fortes que ça. Et donc, oui, on est des victimes. On a des grosses vicos de la Manif pour tous et du milieu dans lequel on a grandi. Sauf qu’on en est sorti, qu’on a trouvé lemoyen d’être plus intelligent et plus intelligente que tout ça. Et qu’aujourd’hui, on se débrouille mieux que… que les gens quivont rester enfermés dans tous ces modes de pensée-là qui nous ont détruit.

ROZENN – Et et par quoi est passé ou passe encore la reconstruction pour vous aujourd’hui? Aya.

AYA- Déjà basiquement, par une thérapie. Personnellement,je suis suivi. Après, ça passe aussi… moi personnellement par de ladiscussion avec mes parents. Je pense que ma reconstruction à ce niveau là était peut-être plus simple que beaucoup de gensparce que mon père fait un travail sur lui et que mon père s’est excusé de certaines choses qui se sont passées. Etje sais, au-delàdes excuses, que mon père regrette profondément certaines choses qu’il a faites. Et ça, je pense que c’est une chanceinestimable parce qu’on a pas tous et toutes la chance d’avoir des parents qui sont capables de prendre du recul sur eux, des’excuser et juste de faire leur propre autocritique. Et ce qui m’a beaucoup aidé aussi, c’est de trouver une autre communauté àun autre endroit où je puisse être entouré et où je puisse être écouté et entendu. Ça, je l’ai trouvé de façon globale on va dire dansla communauté LGBT et de façon plus générale, dans la communauté polyamoureuse.

JULIE – Je pense que ça s’est passé en deux étapes. Tout a été très simultané parce que donc je suis partie de chez moi je venaisde passer le bac et en fait j’ai commencé

des études dans la culture et donc j’ai rencontré des gens qui me ressemblaient. Et là, je me suis un peu dit « Ah, en fait, c’estpossible. » Donc c’est surtout passé par un long travail de déconstructionoù, en rencontrant des gens qui ressemblent à ce que jesuis aujourd’hui. J’ai puvoir qu’il y avait d’autres façons d’exister, qui étaient possibles.

Et ensuite, la deuxième étape, c’est quand j’ai rencontré ma première copine. Et là, effectivement,la communauté LGBT elle aété d’une grande aide. C’est très bête, mais en fait, ça passe par juste l’amour d’autres personnes.

LOUISE – Moi en fait,jusqu’à très récemment,j’ai… j’avais toujours cette idée qu’on m’avait apprise que une personnehomosexuelle parce que trans n’existait pas. Fallait le dire. En gros, moi je me voyais déjà dans ma vie, soit j’allais avoir unefemme et des enfants, mais j’allais finir par la tromper, coucher avec des prostitués hommes, ‘fin avec des personnes travailleursdu sexe et choper le sida et mourir, soit je devenais prêtre, soit je me suicidais. C’était le seul parcours possible. Jusqu’à très récemment,j’avais encore ce schéma très intégré. Donc, c’était ça aussi. J’étais persuadé que… on m’avait appris aussi que du coup j’étais une personne pédophile. ‘Fin du coup je pouvais pas me découvrir ni m’accepter parce que j’avais trois voies possibles qui menaient toutes à la même chose une mort qui resterait dans le secret. Donc, quand j’ai pu totalement quitter mafamille, arrivée à Paris, rencontrer les gens qui sont devenus, ma famille qui m’a choisi ma famille choisie, l’associatif aussi beaucoup et… je sais pas sije peux dire ça, mais la consommation de certains produits, on va dire, on le fait que j’ai pu libérer uneparole qui était coincée dans des états. Je sais pas. Je dis pas aux gens de prendre de la drogue, mais ça… ça m’a permis d’en parler un peu au moins une fois. Qui, après, a lancé le parcours du processus pour enfin commencer à s’assumer, à secomprendre pleinement. Donc ça a dû arriver quand j’avais 20 ans-21 ans, donc c’est très, très récent.

ROZENN – À quel point vous pensez que votre éducation, tout ce que vous avez vécu, a retardé l’acceptation de qui vousétiez ?

AYA – Je me considère comme pansexuelle et ça a été hyper compliqué parce que déjà que dans notre société, c’est une formed’impensé les relations entre femmes. Pendant longtemps, je savais juste pas que ça existait. L’avantage d’être bi/pan, c’est aussique j’ai pu me cacher à moi-même ce que je ressentais. J’ai pu juste me dire « Ohpff, oui, non,je suis juste attirée par deshommes ». Et en fait, moi, ça m’a énormément bloqué parce que cet impensé complet d’une sexualité qui soit saphique, qui soitavec des femmes m’a complètement bloqué dans mes relations, qui fait qu’aujourd’hui, j’ai… je ne peux pas dire del’hétérosexualité compulsive parce que c’est faux, en étant non-binaire,je relationne pas avec des personnes hétéro.

Mais il y a aussi ce côté sécurisant de relationner avec des hommes.Il y a quelque chose de réconfortant et qui fait que j’aibeaucoup, beaucoup de mal à approcher les femmes. Beaucoup de mal à les draguer, mais de façon générale, même quand ça arrive à avoir des relations sexuelles avec elles. Et ça, ça vient directement de mon éducation, qui a créé un impensé complet et qui est quelque chose que j’ai beaucoup de mal à régler et une peur, une peur absolue de juste faire du mal. Faire une bêtise,

d’être une mauvaise personne, de pas vraiment être ce que je pense être et… et ça, c’est des choses qui, je sais, viem1ent delà. Parce que si j’avais juste su que ça existait, j’aurais pu le penser et m’autoriser à le vivre quoi, plus vite.

LOUISE – Ca m’ajuste fait penser à un truc, moi mon éducation, mais aussi les thérapies de conversion ou même comment lesgens me voyaient, genre j’étais dépossédée très vite de mon corps et du coup. Et être dépossédée de mon corps, a fait que dans lefait de m’accepter, de vivre pleinement. J’ai laissé passer beaucoup de violences sexuelles au début de ma sexualité parce quej’étais persuadée que mon corps ne m’appartenait pas. C’était vraiment le résultat de cette éducation catholique et du faitquej’étais comme inférieure et que toujours m’avait dépossédée de ce corps et que, du coup,je laissais toujours passer. J’ai laisséconstamment des violences, constamment des violences, etje me suis beaucoup de mal à avoir des relations assez vite. Pour leréaliser. Il a fallu que je me comprenne comme personne trans en vrai avant de le réaliser ou j’ai vu que j’avais été dépossédéependant la thérapie de conversion, pendant mon éducation sexuelle et que aujourd’hui encore, parce que mon image ne renvoiepas à ce que devrait être une femme trans par exemple ou autre, eh ben je suis encore dépossédée de ce corps et de ce que lesgens projettent sur moi et en fin de compte, reprendre possession de son corps et de ce qu’on est vraiment très difficile. Et c’estaussi ce qui m’a permis de faire ce déclic et de comprendre, c’est aussi d’aborder ça et ça a été très compliqué à faire. Et quandj’ai compris, ca m’a fait un bien fou de façon de parler, mais juste,j’ai purgé toutes ces choses là. Ça m’a foutu les nerfs aussiquand même, parce que j’étais là en mode, même après, une fois que j’étais parti où je me sentais enfin libre, eh bien, ils étaient toujours là et il y avait toujours une sorte de contrôle sur ma vie, sur ma sexualité.

C’était très, très violent et essayer de s’en défaire et… Mais c’est vraiment la transidentité, qui m’a aussi aidé à le comprendre.

JULIE – Je pense que ça tient beaucoup aussi à l’espace qu’on nous autorise à prendre ou pas. Etc’estvrai que je vais vraiment parler de ce que je connais ? Mais dans mafamille, un enfant, ça ne parle pas tant que ça n’y est pas invité, ça ne rigole pas àtable, ça s’assoit dans un coin et ça ne bouge pas. Et ça obéit. Un enfant, ça obéit. Et voilà, et c’est tout. En fait, ça n’a pas le droitde vivre en fait. C’est… c’est pas considéré comme une personne. C’est juste considéré comme un prolongement de ses parents. Quelque part ça aussi c’est une dépossession du corps car quand tu expliques à un enfant de 3 ans qu’il doit s’asseoir dans un coin et qu’on ne doit pas l’entendre, tu lui enlèves complètement une partie de lui.

AYA-Je me retrouve complètement dans ce que vous dites, notamment moi,je sais que c’est beaucoup passé par la nourriture, lefait de forcer à manger. En tout cas, moi, dans mes milieux, on poussait énormément les enfants à manger parce que tous lesparents étaient dans des œuvres caritatives et « tu sais, les petits enfants, tu penses à cet enfant, qu’on parraine, qui a peut être pas à manger tous les jours. » Moi il y avait une photo sur mon frigo d’une petite fille que mes parents parrainaient dans le cadre deleur église. C’est une forme de culpabilisation, mais je me retrouve

énormément dans ce que vous dites parce que moi aussi, je me suis senti énormément dépossédé de mon corps et au delà même de mon corps, juste dépossédée de mon identité parce qu’on m’a imposé d’être une enfant, d’être une chrétienne, d’être une, du coup, protestante. Et on m’a laissé aucune marge de liberté, aucune marge de mouvement et en fait au final,je me suis retrouvée avec beaucoup de problèmes derrière parce que j’étais pas ça, je ne rentrais pas dans ce monde là etjem’en sortais pas. Et ce qui moi, aussi, a ouvert complètement la porte à des violences sexuelles, à des violences psychologiques. Et mes premières relations étaient des relations extrêmement toxiques parce que j’avais aucune notion que j’avais le droit de dire non, que j’avais le droit de refuser, que j’avais le droit de, en fait, de vouloir vivre par moi-même, pour moi-même, et pas au travers de quelqu’un.

JULIE – T’as dit tout à l’heure quelque chose dans lequel je me reconnais absolument, c’est: « Je savais pas que j’avais le droitde dire non ». Et là,j’ai commencé une thérapie et en fait, on avait fait une espèce de séance de cadrage en gros: « Vous êtes làpour quoi? ». Etje lui ai dit: « Jesuis là parce que dans ma vie pro comme dans ma vie, perso,je ne sais pas dire non etje passe mavie à adapter mon comportement et à projeter un comportement dontje pense que je pense que les gens attendent de moi au lieu d’essayer d’être moi tout simplement parce que je ne sais pas ce que c’est être moi ». Je suis incapable de prendre une décision. Quand on me dit « tu préfères manger ça ou ça? » Je n’en sais rien ! C’est des trucs débiles au quotidien, je ne sais pas.Parce que… parce qu’on m’a pas appris à développer une personnalité propre, C’est super compliqué pour moi de juste arriver àm’opposer ou même à savoir ce que je veux.

LOUISE – Mais tu vois, ce que tu viens de dire. Bah moi quand je suis parti de chez moi? Je disais que j’étais vraiment inadaptée à la vie parce que j’avais fait. J’avais jamais eu de choix à faire. En fait,je n’avais pas le choix. Puis, étant donné quej’étais cet enfant différent, que parfois ma mère présentait même comme un ami de la famille pour dire!Tellement j’étais ce truchonteux qui était caché. On me demandait constamment d’être investi dans l’église sous diverses formes. J’aime donner des cours de catéchèse, accompagner les jeunes dans leur communion, leur profession de foi, leur confirmation. C’était un investissement constant. J’avais jamais de choix à faire. J’étais cette chose de vraiment cette chose presque publique. Et du coupquand je suis arrivé dans le monde en dehors de cette bulle dans laquelle j’avais grandi. Je pense encore à cette chose publique qui appartenait à tout le monde. Et j’avais aucune idée de qui j’étais, de ce que j’étais.

ROZENN – Et toi en plus Louise, tu disais que tu avais suivi des thérapies de conversion. À quel point ça a joué là-dedans? Est-ce que tu veux raconter ce que tu as subi?

LOUISE – Alors oui. Du coup, on va parler de la communauté de !’Emmanuel. La secte qui dépendait de la communauté deSaint-Jean, qui a une réputation assez sale depuis sa création. Ma mère, m’emmenait voir… Au début, c’était le père G. Ça

commençait par des discussions au début. Tout les week-end je devais partir là-bas avec ma mère, pas pour mes frères et sœurs. Et moi, je marche dans le parc avec le père supérieur. Il y a des floues, il y a vraiment des trucs qui ont disparu de ma tête où jene sais pas trop, c’est des tout petits instants. Mais du coup, des discussions et des questions très, très intrusives sur mes pensées,sur ce que je pouvais faire si je… je me masturbais, ce qui est drôle, c’est que j’ai découvert la masturbation comme ça. Il y avaitce truc du style pour me protéger mais aussi pour protéger les autres. Du coup, c’était ça, on m’isolait beaucoup. On ne me faisaitpas fréquenter les autres personnes qui étaient là, ni les enfants, les autres familles. C’était un truc un peu de tare et c’était unemaladie à ne pas répandre quoi. Et on me faisait comprendre qu’il y a un mal en moi et qu’on allait l’extraire. Du coup après on m’a fait aller à

Paray-le-Monial et là, j’ai rencontré des personnes de la communauté de l’Emmanuel. Alors là, c’est un grand grand flou sur toutle séjour. Je vois des, j’ai des flashs de prière de plusieurs personnes autour de moi. Je ne sais pas,j’ai comme des sensations decontact physique, mais je ne sais pas quoi. Après, c’est deux retours du coup dans cet endroit où il y avait la secte. Quand le prêtreGa été déplacé, c’était le père P. Les deux, c’étaient des prêtres exorcistes. Je le précise. Et du coup pareil, mais lui il m’isolait dans une pièce, il me faisait fermer les yeux. Là j’ai des grands blancs et des prières autour de moi, il y a des mains sur moi. Et après il y a des moments où on me met sur une chaise et on ne me parle pas pour me faire comprendre que ma maladie se propage partout, bah c’est autour de mes frères et sœurs d’y passer. Pour montrer que je répand mon mal partout. Et que c’est dema faute. Et après c’est rebelote dans la chapelle, avec plus de monde et c’est comme ça pendant 3 ans, peut-être plus. Après c’estassez drôle comme à toutes les messes je priais pour guérir, pour aller mieux. Je ne comprenais pas pourquoi ça ne marchait pas comme je faisais tous les efforts possibles. Et quand il y avait les adorations, c’est le moment où ils mettent l’hostie dans untruc en or et l’hostie est explosée et les gens prient devant pendant des heures. Et moi on me mettait dans un coin isolé de tout le monde et tout le monde savait. J’étais détesté pour ça, on me frappait constamment, on m’insultait. J’ai un peutout subi ladessus. Même des agressions sexuelles au collège dans la cour où on m’attrapait, tout les gens se mettait à me toucher partout en me disant que j’aimais ça et moi bêtement je rigolais car ça me paraissait normal. C’était mon quotidien quoi. Voilà.

– Virgule musicale

ROZENN – Est ce que vous ressentez beaucoup de colère aujourd’hui, les uns et les autres?

AYA – Ouais, ouais, mais moi, la colère, ce qui me fait avancer, en fait. C’est la seule émotion que mon passé n’a pas investi à ma place etje ressens de la colère et énormément. En mouvement de ce que Louise vient de dire, mais de façon générale envers les mouvements religieux et ma famille et la communauté dans laquelle j’ai grandi. Je ressens énormément de colèreparce que la colère, c’est un peu interdit. C’est très mal vu dans la foi. C’est très malvu dans la Bible etje crois que c’était une

façon pour moi de m’autoriser à être contre ce qui s’était passé, contre ce qui m’était arrivé, contre ce qu’on m’avait appris, c’est de m’autoriser à être en colère. Etje ressens beaucoup de colère parce que c’est toujours plus productif que d’être triste.

ROZENN – Augustin, comment tu réagis à tout ça,est ce que ça te met en colère aussi?

AUGUSTIN -À l’entendre en direct, ça ne fait plus beaucoup, beaucoup de peine que de colère parce que je serais pas contre quidirigeait ma colère tellement il y a de personnes responsables du mal qu’ils font aux autres. Mais bien sûr que la colère est importante et que c’est de la colère que naît l’engagement. Et donc, il faut aussi passer par là. Parce que la colère, c’est la révolteet et une manière de matérialiser sa révolte, c’est de s’engager soit dans l’associatif pour aider les personnes victimes ou dans lemilitantisme. Je pense que c’est un bon chemin à suivre pour extraire tout ce qu’on, tout ce qu’on a et tout ce qu’onvoit autour de nous.

ROZENN – Est ce que vous êtes engagé aujourd’hui, est ce que vous réussissez à mettre cette colère dans desengagements associatifs ou autres ?

JULIE – Ouais, moi,je suis très militante,je manifeste énormément. Je suis, sans être engagée dans une asso en particulier bénévole sur plein d’événements, manifestations, etc. LGBT et féministe. Et oui, c’est sûr que ça vient de cette colère parce qu’à un moment donné, il faut… il faut en faire quelque chose quoi.

ROZENN – Louise, t’as été membre d’Act Up, c’est ça?

LOUISE – Oui, oui,j’ai eubesoin de passer par l’associatif, la lutte contre le VIH sida, c’était ce qui paraissait le plus logique dans tout ça, dans mon parcours. Et en fin de compte. Ben moi, je suis pas mal redirigé dans tout ce qui était prévention. Donc, réduction des risques et répression sexuelle ou sur tout ce quipourrait être abus sexuels ou autre. Mais de façon trèsinconsciente en plus. Du coup c’était vraiment ça puis après tout ce qui était manif. Mais pour la colère,j ‘avoue que la colère,j’ai du mal à l’avoir au début j’ai surtout de la tristesse. Et là, on en reparlant, je me rends compte que sij ‘en parle jamais,c’est que j’ai encore ce truc de honte très intériorisée et alors que même si n’est pas rationnel,je le sais. Mais il y a ce truc du aufond, je pense toujours que c’était de ma faute. C’est normal que ce soit arrivé.

AUGUSTIN – Mais la culpabilité, elle est aussi liée à la religion. Dans le credo y a « je suis pécheur », »oui,j’ai péché ».

JULIE – Oui,j’allais le dire c’est la religion. Elle est par essence culpabilisante.

AUGUSTIN – La honte, comme la difficulté à parler. Parce que se mettre en avant, c’est aussi très malvu,donc elle encourageaussi au silence. Oui, c’est pas dans la réserve. Par humilité.

ROZENN – Vous dîtes que vous participez tous et toutes à des manifestations, vous allez à quel type de manifestations ?

LOUISE – de gauche. [Rire]

JULIE – Ouai bah pareil. Toutes les manifs de gauche. La dernière que j’ai faite c’était contre la loi de sécurité globale,bah évidement toutes les prides. Pride de l’inter et pride radicale.

ROZENN – Est ce que vous diriez que vous êtes tout tout seul engagé politiquement, à l’opposé de vos parents et de vosfamilles?

JULIE – Oui, oui.

AYA – Moi c’est plus nuancé. C’est plus nuancé parce que mon père se radicalise à gauche.Néanmoins, c’est plus nuancé parce que dans l’ensemble, oui, c’est complètement vrai. C’est complètement à l’opposé des valeurs globales de ma famille. Mais mon père a complètementtransformé sa foi, pour en faire quelque chose de très à gauche, de plus en plus. Et donc, oui, sur leprincipe. Dans les faits, j’entraîne des personnes avec moi, comme mon père, mes sœurs.

AUGUSTIN – Moi, j’ai encore du mal avec la politique. J’ai pas tout le recul que vous avez encore, mais oui, j’ai fait desmanifs qui étaient plutôt à gauche. Sécurité globale, les manifs contre les lois de Darmanin et tout çacontre les idées d’extrême droite. C’est plus à gauche, par conviction perso1melle et par rejet de celles de ma famille. Donc je pense que je suis dans cechemin là aussi.

LOUISE – Pourtant, moi je suis convaincu que mon engagement à gauche, voire à l’ultra gauche, était aussi une suite logique dece que je trouvais de bon nom dans la chrétienté et dans le catholicisme. Pour moi, c’est vraiment j’ai adapté ces messages qui meplaisaient et auxquels je croyais. Et aujourd’hui genre ils se reproduisent

là-dedans, sans tout ce qu’il y a de toxique autour.

JULIE – Mais exactement. Et ça m’a toujours fasciné, de à quel point les valeurs de la foi catholique chrétienne, de manière générale, elles sont profondément des valeurs de gauche, en fait, et que la solidarité, l’entraide, la tolérance …

AUGUSTIN – Ah les valeurs d’affiche.

JULIE – Oui voilà bien sûr. Mais tu vois, quand tu fais 10 ans de catéchisme dans lequel on te dit tu aimeras ton prochaincomme toi même peu importe sa différence. On te dis quand même ça, on te martèle comme ça pendant 10 ans. ‘Fin 15 ou 20. Et ensuite ? En pratique, tu vois que pas trop, pas du tout. Et en fait…

AUGUSTIN – En fait on a mieux compris la Bible que les autres.

LOUISE – L’accueil, le partage, l’entraide, renverser les superbes. Ça c’était mon grand fantasme de quand j’étais jeune. C’étaitle truc: tous les hommes sont égaux. On va renverser les superbes et vous êtes tous les mêmes devant Dieu, donc ça me paraissait logique et limite je me dis mais. Ils n’ont pas compris mon interprétation.

JULIE – Comment ça a pu faire ça? Je comprends pas non plus.

LOUISE – Enfin ils ont vrillé en fait. Venez on lance une église. L’Église queer.

ROZENN – Qu’est ce que vous voudriez dire aujourd’hui à des personnes qui ont vécu les mêmes choses que vous, qui n’ontpas forcément été traîné aux manifs pour tous, mais qui ont reçu le même type d’éducation, qui en ont souffert et qui, peut être, en souffrent encore ?

JULIE – Bah on s’en sort. Par contre, il faut sortir de chez soi, il faut rencontrer d’autres gens. Il faut parler à plein de gensdifférents et finir par trouver les gens qui correspondent.

AYA- Oui,je suis d’accord ce qui vient d’être dit et j’aimerais bien ajouter aussi: qui tu sois t’as le droit. Qui tu es n’est pas mal et n’est pas mauvais. Et ils te le diront toujours, mais c’est faux. Et ta souffrance est légitime et qui tu es, est légitime et le jour où tu te sentiras de partir, on sera là.

LOUISE – Et qu’en fait, il va aussi falloir accepter que ces gens-là te veulent du mal, te font du mal, mêmes’ ils peuventte dire que tu es de leur famille, que tu les aimes. Tu ne dois rien en vrai. Juste fuis. Trouve toi ta vraie famille, c’est des gens quivont t’aimer, les gens qui vont accepté, qui vont t’aider à grandir. Tu peux avoir toutes sortes de discours sur les liens, du sangsur « oui ont’asnourrit ont’aséduqué pendant tant d’années ». Non en fait. Ils vous ont sûrement tous détruits en fin de compte,fait plus de mal qu’autre chose et que… fuient et trouvent les gens qui vont t’aider à aller mieux et à enfin pouvoir vivrepleinement ce qui sera une famille choisie. Aujourd’hui on a la chance d’avoir des réseaux sociaux. Moi je sais que Twitter m’a beaucoup aidé et ça peut être un début de porte de sortie par exemple. Trouver des gens comme toi, de parler et de partir etd’accepter que tu as le droit de partir et que couper les ponts, ça peut être dur, mais que tu as le droit en fait et que c’est peut êtreparfois mieux pour toi, mais il faut juste passer le pas et après tu peux commencer à exister et à vivre pleinement ta vie.

JULIE – La seule vraie famille, la seule qui est légitime, c’est celle qu’on se construit.

– Entretien avec Augustin

ROZENN – Tu as pensé quoi des échanges aujourd’hui?

AUGUSTIN – Déjà, premier truc, c’est que c’était très émouvant. Et ça me fait surtout relativiser sur mon témoignage quiest vraiment et ce que j’ai vécu, qui est

vraiment plus soft que ce que beaucoup de gens ont vécu. Moi,je parle encore à ma famille. Et en même temps il y a eu unedynamique de groupe qui faisait que comme on allait partager les mêmes choses, on se reconnaissait. On n’avait pas besoind’expliquer pendant des heures ce qu’on avait vécu tout de suite, on se reconnaissait dans nos sentiments, nos émotions desouvenirs et donc on allait à l’essentiel. Et nos colères, nos émotions communiquaient bien et elles convergeaient un peu vers un même point qui était la nécessité de l’engagement.

MUSIQUE DE GÉNÉRIQUE DE FIN

Merci au bar La Mutinerie de nous avoir accueillis pour l’enregistrement de cet épisode. C’était le dernier d’Au nom du fils, lasaison 3 de Quouïr. Si vous l’avez aimé vous pouvez la faire vivre en la partageant et en discutant entre vous. Lors de notre rencontre, Augustin m’avait d’ailleurs fait part de son envie de créer un groupe Facebook de rescapés LGBT de la manif pourtous comme il les appelle. Cet espace d’échanges privés existe désormais. Alors si vous vous sentez concerné, d’une manière oud’une autre, vous pouvez demander de l’intégrer en cliquant sur le lien en description de cet épisode. Si vous ressentez lebesoin de parler à un professionnel de santé, ou une association LGBTQI de confiance, on y a aussi listé des références

non-exhaustivesqui pourront, je l’espère, vous aider.

Un immense merci àAya, Louise et Julie pour leurs précieux témoignages. Pour leur force et leur courage. Et bien sûr, un grand merci à Augustin de m’avoir fait confiance et de m’avoir accompagné pour ce projet et dont la parole d’une grande maturité et d’une grande générosité résonnera, je l’espère, bien au-delà.

Quouïr est une série conçue et réalisée par Rozenn Le Carboulec, produite par Nouvelles Écoutes, mixée par Marthe Cuny et coordonnée par Gaïa Marty. Direction artistique Aurore Meyer-Mathieu. Lecture de texte de Sohan Pague. Prise de son par Adrien Beccaria à l’Arrière Boutique. Si vous avez une question ou commentaire à nous faire parvenir, rendez-vous sur les réseaux sociaux de Nouvelles Écoutes.

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