Voix off Nous aimerions que les endroits qu’on aime durent toujours. Pourtant, l’essence même de certains paysages est le mouvement. C’est le cas des vagues. Elles naissent, grossissent, montent, puis se brisent et s’évanouissent. Ce sont des avalanches d’eau toujours incontrôlables et renouvelées. René Bégué, 73 ans, est surfeur et photographe. Quand il était petit, il venait tous les étés avec ses parents en vacances à Biarritz, avant de s’y installer définitivement. Il a vécu les débuts du surf français à la Côte des Basques dans les années 60, l’arrivée des premières planches venues des États-Unis à une époque de folle liberté et la Barre d’une vague française aux tubes parfaits qui a marqué les surfeurs les plus connus, de l’Australie à la Californie en passant par Hawaï ; un spot de surf mythique et une vague légendaire aujourd’hui disparue.
René On est à la Côte des Basques et on voit des vagues magnifiques, on se dit : « Oulala, ça va être super la Barre » ! Alors tout le monde prend les voitures, on met les planches sur le toit, on va à la Barre et là, on la découvre au top de sa forme. Il m’est arrivé à la Barre de prendre une vague de dix, douze, quinze, vingt secondes, enfin, ça dépend. Une fois la vague finie, sortir, me poser sur le sable, m’asseoir sur la planche et penser à la vague que je viens de prendre.
Voix off Avec le dérèglement climatique et l’impact des activités humaines, de plus en plus de personnes vont voir leur environnement familier changer radicalement. Dans ce podcast, nous partons à la rencontre de celles et ceux qui vivent déjà ces bouleversements dans des lieux d’une grande beauté, accessibles ou reculés, des endroits vulnérables, abîmés mais aussi résilients. Nous raconterons ces lieux magiques et aimés pour en garder la trace avant qu’ils ne disparaissent. Une série documentaire de la journaliste et documentariste Flora Trouillot. Bienvenue dans ce la Stasi.
René En 1957, j’ai huit ans. On faisait du planking à l’époque. C’est une petite planche en bois recourbé à l’extrémité avec lequel on prenait des vagues avec des palmes, et ça ressemble un peu au body board mais en contreplaqué. Ce n’est pas une planche en mousse. Je me rappelle très bien d’avoir vu Peter Viertel qui était arrivé avec sa planche à la côte des Basques. J’ai trouvé ça merveilleux parce que j’aime beaucoup la glisse mais je n’aime pas trop l’eau, je ne suis pas un bon nageur, j’ai un peu peur d’ailleurs. J’ai plutôt tendance à me noyer qu’à nager. Je nage un peu la brasse, je nage sur le dos en bougeant les bras et j’ai vu ça comme étant le moyen de prendre des vagues, donc de glisser sur l’eau, sans trop me mouiller. Ca m’a donc tout de suite enthousiasmé. Aujourd’hui effectivement, le gag c’est que quand les copains me voient sortir de l’eau avec les chaussettes, ils me disent : « t’as eu une bonne journée ». C’est à dire que je ne suis pas tombé, je n’ai pas pris de vague sur la gueule et c’était donc une bonne journée.
Voix off Cet été 1957, René a vu la toute première planche de surf arriver sur la Côte des Basques avec un scénariste californien de passage en France pour un film. Cette planche fait naître la première génération de surfeurs français, les Tontons surfeurs. Ils embarquent avec eux René et ses copains pour leurs premières aventures.
René Nous, on a 20 ans d’écart à peu près avec les tontons surfeurs. Eux, c’étaient des grands gars bien costauds. Avec des planches de 20 kilos, il vaut mieux être costaud. La Côte des Basques avait dans son établissement un dernier étage qui était l’Union Sportive Biarrote, l’USB, où il y avait une salle de musculation et tous ces jeunes hommes qui avaient une trentaine d’années et qui étaient déjà pères de famille, et cetera, y poussaient de la fonte. Quand ils ont vu arriver le surf, comme ils étaient aussi des gens qui aimaient bien l’eau, ils s’y sont tous mis aussi.
René Nous, notre rôle de petits gamins de l’époque, c’était d’arrêter les planches avant qu’elles ne tapent dans les blocs. Quand on fait 40 kilos et qu’on arrête une planche de 20 kilos entraînée par une vague, c’est un peu compliqué mais on y arrive. Le temps que le surfeur rentre à la nage, nous on prenait la planche et on allait faire une petite pousse ou deux le temps qu’il arrive au bord. C’est comme ça qu’on a tous démarré. Je ne suis pas le seul. Tous les gamins de l’époque ont démarré comme ça.
René Alors le surf, je ne sais pas. Je pense qu’il n’y a que deux solutions. On essaye et soit on est mordu, soit on est écœuré. J’ai jamais vu de système intermédiaire à surfeur de temps en temps. Non. Ou on surf ou on ne surfe pas. Quand on est mordu, c’est vraiment quelque chose de très prenant. On passe d’abord beaucoup de temps à ramer pour quelques secondes sur une vague. C’est vraiment intense comme sensation. L’ambiance est assez géniale parce qu’on est tous nuls. Il n’y a pas un mec qui se la ramène parce qu’il sait faire du surf. Non, non. On est tous nuls. On est tous au niveau zéro et il n’y a pas encore le bouquin surfeur pour les nuls donc on essaie de se débrouiller comme on peut. C’est au hasard des passages d’étrangers comme Peter Troy et Jenn Lee qu’on apprend qu’on n’est pas obligé d’aller tout droit avec une planche, on peut aussi aller à droite, aller à gauche, on peut faire des virages, on peut avancer sur la planche, on peut faire des tas de figures dont on n’avait même pas idée. C’est comme ça qu’on progresse donc au fur et à mesure des passages d’étrangers. En plus, on progresse au niveau technique parce que ces gens là arrivent avec des planches, donc on les copie. Le père Barland, lui, il a toujours un mètre dans la poche avec un calepin et quand il voit une planche arrivre, il mesure la longueur, la largeur, l’épaisseur,… Le soir, avec son rabot, il essaie d’en façonner une d’un petit peu équivalente. Ca progresse comme ça. A l’époque, le mot liberté a encore un sens. On peut faire ce que l’on veut. Les surfeur étrangers venaient avec leur camping car et ils campaient le long du boulevard Prince de Galles donc de la route de la Côte des Basques. Ils allaient surfeur le matin. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Essayer de faire 30 mètres à 25 dans une voiture, dont six sur le toit, deux sur le capot avant, cinq sur le capot arrière et le reste à l’intérieur avec douze planches sur le toit, vous n’allez pas faire 300 mètres. C’était très utile d’avoir les tontons surfeurs parce que non seulement ils nous ont quand même sorti de l’eau plus d’une fois, mais ils nous ont surtout transportés quand on devait changer de plage. C’est tonton qui prenait tous les gamins dans la voiture avec les planches sur le toit pour aller parcourir la côte. C’est comme ça qu’on a découvert Guethary et la Barre. C’est en se baladant, en cherchant des vagues, qu’on est allé à la Barre pour la première fois.
Voix off Avec les Tontons surfeurs et ses copains, René découvre ce spot de surf avec sa vague hors du commun.
René La vague est parfaite. Ce n’est pas sur fond de corails mais sur fond sableux. C’est quand même beaucoup plus confortable quand on tombe et la vague est très belle. C’est un beau tube à gauche, on peut prendre la droite aussi mais c’est un peu plus compliqué, et surtout, on a la possibilité de sortir assez facilement. C’est quand même un grand confort pour ramer et aller prendre la vague. C’était une machine à surf. On repartait au large facilement, on prenait la vague, on rentrait, on partait au large. La vague était assez constante. Même les jours où il n’y avait pas trop de vagues, il y en avait toujours là bas. Pour faire du surf, il faut des vagues qui se déroulent d’une manière sympathique à l’inverse des plages comme la Côte des basques, la Grande plage, ou toutes les plages du coin, où les vagues se cassent un peu partout. Des fois ça ferme, des fois ça ouvre à droite, des fois ça ouvre à gauche. Ca dépend des bancs de sable et cetera. Il n’y a que les endroits où on a des rochers en dessous, comme Guéthary, Lafitenia ou Saint-Jean-de-Luz, qu’on est sûr que la vague se déroule toujours au même endroit. Sur les plages de sable, c’est rarement le cas. Pourtant, la Barre, c’est une plage de sable où ça se déroule toujours d’une manière régulière et c’est une très belle gauche.
René Il m’est arrivé à la Barre de prendre une vague de dix, douze, quinze, vingt secondes, enfin, ça dépend. Une fois la vague finie, sortir, me poser sur le sable, m’asseoir sur la planche et penser à la vague que je viens de prendre. En 1962, on a eu un australien qui s’appelait Peter Troy qui était en train de voyager autour du monde à la découverte de vagues, qui s’est arrêté à Biarritz et en même temps, on a eu l’Hawaïen Jenn Lee qui est également venu pour découvrir les vagues. On a donc décidé de faire une compétition internationale. Rendez vous compte, il y avait un Australien, un Hawaïen et cinq Français. On est donc allé à la Barre et les premières compétitions de surf, c’etait à pleurer. On part tout droit et celui qui plante la dérive dans le sable a pris la meilleur vague.
Voix off Six ans plus tard, en 1968, quand René a 19 ans, ils organisent une nouvelle compétition un peu plus structurée et cette fois ci encore, ça se passe à la Barre.
René On est tous à la côte des Basques. Il y a deux équipes qui font des films pour les surfeurs, qui ont deux équipes de très bons surfeurs, l’une composée de Nat Young, l’Australien champion du monde, Ted Spencer et dans l’autre équipe de film, il y a Billy Hamilton, il y a Keith Paull, un Australien aussi ; six excellents surfeurs. On est à la Côte des Basques et on voit des vagues magnifiques et on se dit : « Oulala, ça va être super La Barre, allons y ! » alors tout le monde prend les voitures, on met les planches sur le toit, on va à la Barre et on la découvre au top de sa forme. Il y avait des Français aussi : Jean-Marie Lartigau, Michel Clos, et cetera. Tous ces bons surfeurs sont allés à l’eau et nous ont fait une brillante démonstration. La plus grande difficulté en surf, c’est de savoir comprendre la vague, savoir où elle va casser, comment elle va se dérouler, à quel moment il faut faire quelle manœuvre pour que ce soit à la fois esthétique et fonctionnel. Tout ça, ça ne s’apprend pas dans les bouquins. Les grands champions sont ceux qui ont un petit peu plus que les autres cet instinct de se placer au bon endroit au bon moment et de faire la bonne manœuvre au bon moment. Il y a des gens qui font du surf, qui ont fait du surf toute leur vie et qui n’ont jamais su. J’en connais personnellement. On peut prendre des vagues sans jamais ressentir ce que peut être une vague. Moi, ce jour là, j’ai été un peu blessé. J’avais pris une dérive de planche dans la jambe donc je n’ai pas pu aller à l’eau, sinon j’y serai allé, mais ça m’a permis d’être à la fois juge, photographe et témoin de ce championnat. Les films de surf sont faits pour être vus par des surfeurs. On va donc dans des petites salles et on regarde des films. On voit Nat Young dans une vague incroyable, Gwen Lynch faire des tubes incroyables, Keith Paull faire des virages pas possibles et les gens se disent : « Mais c’est là qu’il faut qu’on aille, ça donne envie ». Enfin, comme le disait François Lartigau, on aurait mieux fait de ne rien dire. On serait peut-être plus tranquilles aujourd’hui. Mais bon, on ne peut pas changer l’évolution. C’est difficile.
Voix off Comme le dit René, on ne peut pas changer l’évolution des choses et d’ailleurs, la vague de la Barre, elle aussi, évolue à ce moment là. Une digue de rochers est en construction juste à côté de la vague et elle va tout changer.
René [00:14:38] La construction de la nouvelle digue au nord, côté Boucau, démarre en 1962. C’est l’année où on fait la compétition avec les deux internationaux, l’australien et l’hawaïen. Elle sera terminée pratiquement en 1967 ou 1968. C’est la digue qui a amélioré la vague. C’est un peu compliqué à expliquer mais au fur et à mesure que la digue avançait vers le large, la vague, elle, devenait meilleure. Les bancs de sable se modifiaient au fur et à mesure. La vague partait plus au large, elle était plus grosse, plus tubulaire, plus belle. En 1968, elle est parfaite. Quand on fait la deuxième compétition internationale, la vague est parfaite. On a des vagues remarquables mais ça ne dure pas très longtemps parce qu’au fil des années, dans les années 70, elles commencent à disparaître.
Alors la Barre, c’est le nom d’origine de l’embouchure de l’Adour, parce qu’il y avait effectivement une Barre. C’est des vagues qui compliquent considérablement l’entrée dans le fleuve. Il y avait deux petites digues qui existaient. Ils en ont rajouté une grande au large, au nord, donc côté Boucau, justement parce que toutes les tempêtes ici sont du nord ouest. Construire cette digue, ça protège justement l’entrée du fleuve des vagues, des tempêtes, des vents qui pourraient arriver du Nord-Ouest, de manière à ce que les bateaux qui rentrent ou qui sortent de l’Adour puissent le faire en toute sécurité. C’est une construction purement sécuritaire.
Voix off En 1970, Renée participe au championnat de France qui s’organise encore une fois à la Barre. A l’aube du mouvement hippie, René et ses copains commencent à voyager à l’étranger pourtant ils reviennent chaque printemps à la Côte des Basques. A la fin de cette décennie, quand ils reviennent au printemps, c’est le choc. Le spot a changé.
René [00:17:19] Quand on revient au printemps pour redécouvrir le spot, on dit : « tiens, mais pourquoi il n’y a pas de vagues ? » Ça a disparu un jour donc on n’y est plus retourné. C’est à la fois la construction de la digue qui a permis à la Barre de devenir cet endroit mythique et c’est aussi la construction de la digue qui la fait disparaître. C’est une histoire un peu triste et réjouissante parce que sans la digue il n’y aurait pas eu la Barre telle qu’on l’a connue, telle qu’on l’a filmée mais elle n’aurait peut être pas disparu non plus. Là, ça revient un petit peu. Apparemment, ils ont refait une autre digue en enrochements, un petit peu plus près, qui a resablé différemment. On retrouve quelque fois une vague à la Barre qui n’est pas tout à fait située au même endroit mais qui est quand même sympathique.
Voix off René n’est pas nostalgique et ne s’étend pas sur le moment où il constate la disparition de la Barre. Le mot se passe rapidement entre surfeurs et il change de spot. A la Barre, la construction de la digue du Boucau était nécessaire pour protéger les bateaux mais cela ne l’empêche pas de penser que quand certaines vagues hors du commun sont menacées, il faut les protéger.
René Je pense qu’il y a des endroits qui ont disparu à cause de la construction de port ou de modifications qui auraient dû être protégés. Je pense qu’un bon spot de surf doit être protégé pour une raison très simple qui est que les très bons spots de surf sont quand même relativement rares. Par contre, ça attire beaucoup de monde. C’est une manne pour les locaux de voir un spot de surf qui fonctionne. Vous avez des spots de surf en Afrique ou en Amérique du Sud, et cetera. Les gens vont dans ces endroits parce qu’il y a ce spot de surf. Si ce spot de surf doit disparaître, ils n’iront plus et c’est autant de devises en moins pour le pays et pour les locaux. Du point de vue du tourisme, c’est donc à préserver, mais du point de vue surf, c’est à préserver aussi. Il n’y a pas deux vagues qui se ressemblent, il n’y a pas deux vagues pareilles. Quand on a une vague qui est si bonne qu’elle en devient célèbre, il faut vraiment la préserver. Ça me paraît indispensable. C’est comme préserver une espèce en voie de disparition. Il ne faut pas que ça disparaisse.
Voix off Les surfeurs sont philosophes. Dans l’eau, ils ont appris à vivre le moment présent, à faire corps avec l’insaisissable quelques instants et profiter de sensations furtives. Pour René, les vagues sont comme les époques. Même si elles sont merveilleuses, elles sont toujours éphémères. La vague de la Barre est devenue parfaite parce qu’elle était en mouvement et qu’elle allait disparaître. Mais cela ne veut pas dire renoncer à la protection des bons spots de surf. Le mouvement d’une vague dépend de l’environnement qui l’entoure et certaines constructions, parfois, peuvent être évitées. D’ailleurs, un peu partout dans le monde, on voit émerger des réserves de vagues pour les préserver.