Voix off Et si notre santé mentale était liée à la santé de la planète ? Ce lien intime avec l’environnement, Gaëtan Hoarau en a fait l’expérience. Il vit depuis toujours sur l’île de La Réunion. Plusieurs fois par semaine, il se rend au lagon de Saint Pierre pour nager, se détendre et observer les forêts coralliennes sous-marines. Il aime tellement les coraux branchus qu’il va les voir jour et nuit. A force de temps passé dans l’eau auprès des coraux, il est entré dans leur intimité, pour le meilleur et pour le pire.
Gaëtan C’est un cadeau énorme que les coraux m’ont fait. Ils m’ont permis d’observer. C’est pour ça que je ressens une relation particulière avec eux. Je me sens un peu comme un messager. C’est à dire que j’en ai fait un devoir d’informer, de montrer aux gens que le corail est un animal vivant et que c’est un patrimoine. C’est à nous tous de le respecter, moi y compris.
Voix off Avec le dérèglement climatique et l’impact des activités humaines, de plus en plus de personnes vont voir leur environnement familier changer radicalement. Dans ce podcast, nous partons à la rencontre de celles et ceux qui vivent déjà ces bouleversements dans des lieux d’une grande beauté, accessibles ou reculés, des endroits vulnérables, abîmés mais aussi résilients. Nous raconterons ces lieux magiques et aimés pour en garder la trace avant qu’ils ne disparaissent. Une série documentaire de la journaliste et documentariste Flora Trouillot. Bienvenue dans Solastalgie.
Gaëtan Le lagon de Saint Pierre a la particularité de border la ville. Il n’est pas très large, à peu près 150 mètres de largeur, et il n’est pas très étendu non plus. Ce qu’il y a de particulier, c’est que c’est très riche en biodiversité. J’y ai un attachement particulier parce que c’est le lagon de mon enfance et c’est celui dans lequel je vais principalement. Alors il y a un autre terme ; on appelle aussi ça dépression d’arrière récif. C’est à dire que les coraux ont construit comme une barrière sur laquelle les vagues viennent s’écraser et toute la partie arrière de ces vagues, donc au niveau de la côte, est protégée. Il n’y a quasiment aucun risque dans un lagon. On est protégé de la houle, on est protégé des espèces potentiellement dangereuses. Je dirais que le seul risque, c’est de marcher sur un poisson pierre par inadvertance. Ce rapport personnel, je dirais qu’il est né durant mon enfance parce que j’ai eu la chance que mes parents nous amènent à la mer. On jouait dans le sable et puis progressivement on s’est mis à se baigner même si mes parents, eux, ne se baignaient pas vraiment. Ils nous ont laissé découvrir l’océan. Je me baignais sans vraiment savoir nager et j’ai voulu apprendre. C’est un nageur, quelqu’un d’assez extraordinaire, très musclé, qui était preque une star dans les lagons qui m’a aidé à bien nager le crawl et qui m’a montré des gestes. Petit à petit, l’aisance est apparue et j’ai même eu une période où j’allais quasiment tous les jours au lagon pour nager. Mon rapport à la mer est, je dirais, presque vital mais comme pour d’autres personnes je pense, il faut un milieu où on se ressource. C’est un besoin et je dirais même que c’est nécessaire pour la santé.
Voix off Un jour, il y a tout juste dix ans, Gaëtan suit une amie pour assister à la ponte des coraux branchus dans le lagon. C’est pour lui une révélation.
Gaëtan Disons qu’il y a une dizaine d’années, ça m’a pris d’un coup, je ne sais pas pourquoi. C’est vrai que j’observais toujours et que j’ai toujours aimé les coraux. J’ai eu envie de voir ce phénomène de reproduction qu’on appelle la reproduction sexuée externe. C’est à dire qu’ils vont émettre des petites billes de différentes couleurs, ça dépend des espèces. La ponte est imprévisible. On se base sur la période de pleine lune, sur des conditions météo de mer correctes. Il faut s’habiller parce qu’on reste longtemps dans l’eau. Je peux rester deux heures dans l’eau. Je mets une combinaison avec une cagoule et des gants. Je suis complètement équipé avec de petites palmes. Je n’ai pas de bouteille de plongée, j’utilise un tuba et je fais aussi un peu d’apnée. J’ai surtout des phares qui me permettent d’éclairer le centre. Ensuite, on attend. On se ballade de nuit dans les lagons, on regarde et puis, tout d’un coup, vous voyez que ça commence. Vous voyez des petits œufs qui sortent d’en dessous des branches de coraux. C’est en octobre et ce sont les coraux branchus, les acropora. C’est un phénomène qui peut être massif. Lorsque la ponte a démarré, vous ne pouvez pas bouger. Vous admirez et vous contemplez. Vous êtes entourés de millions d’œufs qui vont monter à la surface et c’est pour cette raison qu’on appelle ça communément la neige à l’envers. C’est à dire qu’au lieu de tomber, ça monte. C’est de la neige à l’envers qui est rosée. C’est magnifique. C’est un autre monde. C’est beau. C’est vraiment merveilleux. Quand vous êtes au milieu de ça, c’est la vie que vous voyez devant vos yeux. Une fois qu’on l’a vu, c’est déjà extraordinaire de le voir une fois, on a envie de le revoir parce que ce sont des moments rares. C’est très rare. C’est quelques nuits par an et rien n’est gagné à l’avance. C’est vrai que comme c’est une passion, j’y suis allé assez souvent. A force, j’ai cette intuition. C’est aussi une expérience. J’ai eu la chance de parfois pouvoir prévoir quelles espèces allaient pondre et parfois même l’horaire auquel elles allaient le faire. C’est le fruit d’une passion, de l’observation et de l’expérience. C’est à dire que j’ai déjà passé plus de deux mois de nuits de ma vie à observer les pontes de coraux. C’est vrai que j’ai réussi quand même à force d’observation, à force d’analyse, à mieux cerner le comportement de certaines espèces. On est toujours surpris. C’est un rendez vous où tout n’est pas convenu d’avance.
Voix off Gaëtan se rend plusieurs fois par semaine dans le lagon pour observer les coraux branchus. Cela veut aussi dire être aux premières loges lorsque les coraux vont mal.
Gaëtan Le corail, c’est un petit animal microscopique. Il est tout simple mais vivant, constitué d’un tissu translucide, avec une bouche, des petits tentacules, des polypes, avec un tissu qui recouvre toute la structure calcaire et qui constitue sa maison. Ces petits animaux vivent en symbiose avec des algues microscopiques qu’ils trouvent dans le milieu naturel. Ces petites algues, les zooxanthelles, permettent aux coraux de principalement se nourrir. Lorsque ces coraux sont en stress, c’est qu’il y a un problème avec les zooxanthelles. La symbiose ne se fait pas bien et les zooxanthelles sont expulsées par les coraux. Dans ce cas, le tissu translucide des coraux se décolore complètement et à travers, on peut voir leur squelette calcaire blanc. C’est là qu’on parle de blanchissement coralien.
Voix off Les coraux subissent de multiples pressions : la température de l’eau et la pollution aux nitrates et aux phosphates. En période de cyclones, de la terre se déverse dans le lagon et empêche la lumière d’atteindre le corail. En 2019, pendant l’une de ses sorties habituelles, Gaëtan est le témoin d’un premier épisode de blanchissement massif.
Gaëtan L’inquiétude existe déjà lorsque l’on entre dans l’eau et que l’on remarque que sa température est très élevée. Quand elle atteint quasiment 28, 29 ou 30 degrés, vous savez que là, il y a un risque que les coraux se portent moins bien, qu’ils soient stressés et qu’ils blanchissent. La puce à l’oreille vous l’avez déjà quand vous entrez dans l’eau. C’est un choc quand vous voyez ce phénomène se produire sur des étendues. C’est quand vous vous baladez, que vous observez, que vous nagez doucement dans le lagon et que vous regardez, que vous pouvez voir des forêts qui, au lieu d’être colorées, sont blanches. C’est un blanc qui, moi, me fait penser à la mort. Le stress que vivent les coraux, on peut le ressentir parce qu’on voit que ce n’est pas normal. C’est sidérant.
Gaëtan Qu’est ce qui se passe à ce moment là ? On va regarder un peu partout. On va voir s’il y a encore des coraux qui résistent. Quand je vois ce phénomène de blanchissement, je veux savoir est ce que tout le lagon est touché ? Je reste donc dans l’eau et je vais voir un peu partout. Je décide de faire un suivi de cette évolution.
Voix off Gaëtan commence à faire des patrouilles régulières pour suivre l’évolution des coraux dans les zones touchées et l’année dernière, il constate un nouvel épisode de blanchissement. Cette fois-ci, c’est beaucoup plus grave.
Gaëtan Ça a recommencé et il y a eu beaucoup plus de mortalité. Les coraux devaient être forcément affaiblis, la qualité des eaux devait être moins bonne et il devait y avoir plus de pollution. Une bonne partie des coraux est donc morte. C’est vraiment triste parce que ce sont des coraux que vous suivez qui étaient blancs et qui deviennent marrons verts et envahis par les algues. C’est la mort. En 2021, ça a vraiment été frappant. Quand vous allez dans le lagon de votre enfance et que vous voyez qu’il est devenu sombre, marron vert, au lieu d’avoir une forêt corallienne colorée, vivante et gaie qui vous amène de la joie, c’est triste. Vous voyez un paysage en partie désolé. Ça ne correspond pas à ce qu’on souhaiterait voir.
Gaëtan Protéger les coraux, c’est se protéger, c’est nous protéger, surtout dans une île. La plupart des gens ne s’imagine pas que la vie à partir d’organismes microscopiques, est si fantastique pour nous. Sans cette vie corallienne, on n’aurait pas nos lagons, nos dépressions d’arrière récif, on ne pourrait pas se baigner comme ça, on n’aurait pas nos plages de sable corallien, le sable blanc. C’est d’une importance vitale pour nous aussi.
Gaëtan C’est un cadeau énorme que les coraux m’ont fait. Ils m’ont permis d’observer et c’est pour ça que je ressens une relation particulière. Je me sens un peu comme un messager, c’est à dire que j’en ai fait un devoir d’informer, de montrer aux gens que le corail est un animal vivant, que c’est un patrimoine et que c’est à nous tous de le respecter, moi y compris.
Voix off À la suite de périodes de blanchissement, tous les coraux ne meurent pas. Les plus éloignés de la surface sont épargnés. Certains reprennent des couleurs et parfois, comme en 2022, la vie corallienne reprend aussi sur les coraux morts. Après la ponte, des larves se fixent sur un ancien corail et de nouvelles pousses se développent.
Gaëtan La résilience, je l’ai vue progressivement opérer parce que les conditions de température et de qualité des eaux l’ont permise. Quand on voit au bout de quelques mois que des tâches de couleur apparaissent, on se dit : « ouf, pourvu que ça continue ! ». Quand tous reprennent des couleurs, on a des zones qui récupèrent complètement, c’est extraordinaire. C’est une renaissance et ça donne de l’espoir.
Voix off Pour Gaëtan, santé émotionnelle et santé des coraux semblent liés. Aujourd’hui, certains psychologues cherchent à comprendre les interactions entre notre psyché et l’état de notre environnement. On parle parfois d’écopsychologie pour nommer ce vaste mouvement de réflexion. Le corail est un animal si différent de nous que ressentir de l’empathie à son égard n’est pas une évidence. Gaëtan a été touché par les coraux. Il s’est laissé affecter par son environnement. Peut être parce que pendant ces moments magiques des pontes, il les a vus vulnérables.