Voix off Nous sommes nombreux à avoir observé les étoiles la nuit, pendant l’été. Des moments à tenter de repérer les constellations. Face à la Voie lactée, on se questionnait sur notre place dans l’univers ou sur l’existence des extraterrestres mais depuis les années 50, les astronomes nous alertent. Les lumières artificielles envahissent la nuit et chaque jour, les étoiles sont de moins en moins éclatantes. Les ciels étoilés de notre enfance seraient-ils en voie de disparition? Carole Reboul est photographe de paysages nocturnes. Depuis les Cévennes où elle habite, elle cherche, piste les coins obscurs et les ciels étoilés. L’année dernière, elle s’est donnée pour objectif de photographier un phénomène astronomique rare et qui ne peut s’observer que dans des conditions très particulières. 

Carole Je suis allée faire des photos en bord de mer, au bord de la plage. Moi, mon rêve, c’était de montrer la Voie lactée qui tombe dans l’eau. Le beau ciel étoilé que je voulais, c’est compliqué parce qu’il y a des lumières partout. Plus jeune, je me rappelle que c’était vraiment noir. 

Voix off Avec le dérèglement climatique et l’impact des activités humaines, de plus en plus de personnes vont voir leur environnement familier changer radicalement. Dans ce podcast, nous partons à la rencontre de celles et ceux qui vivent déjà ces bouleversements dans des lieux d’une grande beauté, accessibles ou reculés, des endroits vulnérables, abîmés mais aussi résilients. Nous raconterons ces lieux magiques et aimés pour en garder la trace avant qu’ils ne disparaissent. Une série documentaire de la journaliste et documentariste Flora Trouillot. Bienvenue dans Solastalgie. 

Carole  Toute petite, dans l’obscurité, je me racontais des histoires de loup garou. Je me rappelle de nuits où mes parents m’avait laissée seule dans la maison et où j’avais peur. Je regardais tout le temps sous le lit et ça me reste encore alors que j’étais vraiment toute petite. J’aimais bien ça aussi. On dit la journée est belle, la nuit est sublime parce que justement, ce qu’on y éprouve la nuit est beaucoup plus fort. C’est un peu comme quand on est face à une falaise vertigineuse. On est à la fois attiré et impressionné et on est face à quelque chose qui est plus grand que nous. J’ai toujours été attirée par ça. On faisait des croisières en bateau en pleine mer. Quand on naviguait de nuit et qu’on faisait des traversées vers la Corse ou la Sardaigne, j’étais sur le pont toute la nuit et je regardais les étoiles. C’était vraiment un moment magique. J’ai toujours aimé ça. Je me rappelle avec mes parents on regardait les étoiles, la Grande Ourse, et j’aimais simplement regarder, rêver. Ça a toujours été important pour moi la nuit. 

Voix off Plus tard, adulte, Carole devient photographe et elle s’installe avec son mari dans les Cévennes. Elle prend ses photos la journée comme la plupart des photographes et c’est en voyageant que la nuit la rattrape. 

Carole  C’est effectivement venu avec les voyages parce que la nuit, quand on allait au lit et qu’on allait se coucher, j’avais mon appareil. Je regardais et je faisais encore des photos. Je me suis rendue compte à mes retour de voyage que c’étaient ces photos là qui me parlaient le plus. C’était à ces moments-là qui, pourtant, n’étaient pas anticipés, pas voulus, qu’il y avait une émotion derrière qui était plus importante. Au final, j’avais beaucoup travaillé sur les Cévennes mais en journée. Je me suis donc dit : « c’est vrai, tu pars en voyage faire des photos de nuit de pays lointains. Je m’attable et là, je fais un gros travail sur la photo de nuit en Cévennes » et j’ai commencé comme ça. 

Voix off Mais quand elle commence son travail, elle se retrouve face à un obstacle. En France, comme dans beaucoup d’autres pays, de plus en plus, les lumières artificielles envahissent la nuit. 

Carole  En fait, j’avais l’habitude de faire des photos en Norvège, en Islande, en Écosse, dans des endroits qui sont nettement préservés de pollution lumineuse. Je savais donc ce que c’était qu’un ciel étoilé sur une photo. Effectivement, la première fois que j’ai essayé d’en faire une dans mon jardin, ce que je croyais être un endroit isolé, mais pas très loin d’Alès quand même, je me suis rendue compte que ma photo était toute jaune et que le ciel était jaune orangé et que je n’avais que quelques étoiles dessus. C’est là que je me suis rendue compte qu’il y avait un souci et que je suis allée faire des photos en bord de mer, au bord de la plage. Moi, mon rêve, c’était de montrer la Voie lactée qui tombe dans l’eau. Le beau ciel étoilé que je voulais, c’était compliqué. C’est vrai qu’il y a des lumières partout. Plus jeune, je me rappelle que c’était vraiment noir. On a parfois l’impression d’être dans des endroits où il n’y a pas de lampadaires, où il n’y a pas de lumière proche ou directe donc on se dit que c’est préservé et puis on regarde le ciel qui n’est pas absolument noir. L’obscurité n’existe pas. Tout ça parce qu’on est trop près d’une ville qui éclaire. La lumière porte loin. La lumière, c’est pas du tout comme le son. Elle ne s’atténue pas. C’est en ça qu’on parle de pollution. Ça nous empêche de voir les étoiles, ça gâche la qualité du ciel étoilé. 

Voix off  Avec un ciel de moins en moins noir, les étoiles deviennent invisibles à l’œil nu. Plus d’un tiers de l’humanité ne voit déjà plus la Voie lactée au dessus de chez soi mais Carole habite dans le parc des Cévennes et cela va faire toute la différence. 

Carole Quand j’ai commencé à faire mes photos dans les Cévennes, autour d’Alès au début, parce que forcément, on commence autour de chez soi, je me suis rendue compte qu’effectivement, il y avait beaucoup de lumière et que c’était impossible. Il fallait absolument s’éloigner des villes. Pour arriver à voir un endroit sombre c’était assez compliqué au début. Il s’est trouvé que le début de mon travail a coincidé avec le moment où le Parc national des Cévennes a commencé à candidater pour être une réserve de ciel étoilé. Ils ont travaillé sur l’éclairage, ils ont de plus en plus éteint la nuit sur certaines périodes, baissé l’éclairage, amélioré les lampadaires, communiqué aussi au niveau d’Alès auprès de toutes les entreprises pour qu’elles éteignent les enseignes. Tout ça a quand même à la fois réduit la lumière directe et aussi l’espèce de luminescence du ciel. Au fil des années, là où certaines personnes trouvent qu’on a de plus en plus de lumière, moi j’ai vécu le phénomène inverse. C’est à dire qu’en habitant près d’une réserve de ciel étoilé, j’ai trouvé que c’était de mieux en mieux, que c’était de plus en plus facile de faire des photos. C’est pour ça que j’ai un regard résolument optimiste sur la situation mais c’est vrai qu’en en parlant avec d’autres, ils sont plutôt dans la situation inverse. Dans certaines villes, c’est de plus en plus éclairé et c’est de plus en plus compliqué aussi. Aujourd’hui, j’ai encore plus besoin de sortir. J’en ai encore plus besoin qu’avant. Maintenant, c’est vraiment devenu une drogue. C’est à dire que si je sors pas un moment, je me rends compte que je ne suis pas à l’écoute de mon organisme. Je vais arriver à dix heure du soir et puis je vais repartir à trois ou quatre heure du matin. L’idée, c’est de passer du temps sur le terrain et de sentir ce qu’il faut dire. Quel est le message qu’on veut faire passer ? Et à ce moment là, il y a aussi ce petit côté frisson et intensité du moment qui est super important et qui fait que ce sont des instants dont on se rappelle longtemps après. 

Voix off Carole tente de photographier un phénomène astronomique rare : la lumière zodiacale qui ne peut s’observer que lorsque la nuit est justement très noire. 

Carole Au fur et à mesure, j’ai commencé à travailler dessus, à faire plein de recherches et c’est là qu’à un moment donné, j’ai commencé à voir des articles sur la lumière zodiacale. C’est le soleil qui éclaire les poussières qui sont entre les planètes dans le système solaire et on peut voir ce phénomène à peu près une heure et demie après que le soleil se couche ou le matin une heure et demie avant que le soleil ne se lève. Je voyais ça sur des photos, voire même sur des dessins, parce que ça datait de l’époque où, justement, il y avait très peu de pollution lumineuse. J’ai vu des dessins du siècle précédent où on voyait cette cette lumière triangulaire monter dans le ciel, une lumière très froide, très bleutée. Donc je me suis dit quand même, t’habites dans une réserve de ciel étoilé, s’il y a bien un endroit où ça peut se voir encore…. Je me suis dit : restons sur les Cévennes, essayons de trouver un endroit où la faire. J’ai commencé à faire des recherches sur les lieux où ça pouvait être optimal. Il me fallait un endroit relativement dégagé, bas sur l’horizon, c’est à dire pas d’arbres, pas de montagnes. De fil en aiguille, je me suis dit qu’un des endroits les plus dégagés dans cette direction, c’était un arbre que j’avais pas très loin d’un col, au pied du causse Méjean. Ce n’est pas vraiment une route. C’est une toute petite route où personne ne passe qui mène à un endroit, presque une voie sans issue ou quasiment. Et il est un peu éloigné de la route, au beau milieu d’un champ. À chaque fois, cet arbre m’interpelle et j’aime le regarder en passant. Le but, c’était d’être vraiment sur place au moins une heure ou deux heures avant, avoir le temps de faire des repérages, me positionner, gérer la lumière et tout cadrer. Après, il fallait qu’il n’y ait pas de lune, pas de nuages. Il fallait des conditions optimales. La météo annonçait que tout était dégagé et que c’était tip top donc je suis partie vers 5 heure. On arrive à un endroit où ça commence à être rétréci et où il y a une espèce de col. Comme tous les cols, il y a des météo parfois locales qui ne sont pas prévisibles. Il y avait une espèce de brume, de brouillard au sol et on n’y voyait rien du tout. Comme de toute façon je savais que ça ne se dégagerait jamais avant que ça ne commence, j’ai fait demi tour et je suis rentrée chez moi. Comme les conditions de lune allaient passer et que après, il faut attendre facilement le mois d’après. La nouvelle lune, il n’y en a pas tout le temps. Alors je me suis mise la pression. J’ai surveillé comme il faut. Deux jours après, j’y suis retournée. Je suis partie encore plus tôt et quand je suis arrivée sur place, le soleil se couchait à peine et là, c’était nickel. Il n’y avait pas du tout de nuage et tout était super. Alors je me suis positionnée, je me suis préparée et puis après je n’avais plus qu’à attendre. La nuit a commencé à arriver avec les premières étoiles et puis au bout d’un moment, on commençait à voir un petit peu la Voie lactée. C’est bizarre parce que dans ma tête, je n’y croyais quand même pas. J’avais fait tellement de recherches, j’avais tellement lu… On ne sait pas si c’est notre imagination. Au fur et à mesure, il me semblait que sur mes photos, il y avait un phénomène qui apparaissait un peu plus lumineux, un peu plus blanchâtre. Ce qui est fou dans ces cas-là, c’est qu’on est tout seul et qu’on a envie de se retourner vers quelqu’un et de lui dire :  » C’est ça ? C’est ça ou c’est pas ça ? dis, t’y crois ? ». Et voilà, on est tout seul, on a un peu envie de crier, on est dans un état… On est en complète osmose avec ce qui se passe. C’est vraiment génial. A partir de là, j’avais mis la vidéo en marche et moi je m’occupais de photographier. Ce phénomène, effectivement, apparaît pendant une demi heure et après il va décroître. Je voulais capter le moment où il se voyait le plus possible. L’avantage avec les photos de nuit, c’est que pendant que la photo se fait, il y a 30 secondes où en même temps nous on regarde et on en profite. On a ce temps où on peut regarder pendant que l’appareil photo travaille et ça, c’est vraiment chouette. J’ai eu la chance, dès ma deuxième sortie, de voir la lumière zodiacale. Et alors le truc, c’est qu’au moment où je l’ai vue je me suis dit que je l’avais déjà vue mais que je n’en avais jamais vraiment eu conscience. J’avais toujours pris ça pour de la pollution lumineuse mais dans des endroits reculés, juste deux ou trois fois. Mais quelle est la ville qui fait cette lumière? Il n’y a pas de ville là. 

Voix off Carole a réussi à photographier une lumière zodiacale. Se confronter aux étoiles, aux nébuleuses et aux galaxies est, selon elle, une nécessité dans nos existences. 

Carole  On a besoin des étoiles. C’est toute la beauté de l’homme et dans ses contradictions. Ce qui est super important dans nos vies, ça va être les chagrins d’amour. Ce sont des choses négligeables à l’échelle de l’univers mais qui sont très importantes pour nous. En regardant les étoiles, on peut aussi bien prendre conscience que c’est négligeable mais également que c’est très important. Quand on regarde une étoile, on peut penser à un être disparu ou quelqu’un d’autre ailleurs sur terre qui regarde peut être la même étoile et on peut se sentir en communication avec elle donc c’est des moments magiques qui ne sont possibles que la nuit. Par rapport aussi à l’enfance, ces souvenirs qu’on a de quand on était petit, c’est extraordinaire d’en avoir. Il y a des enfants qui n’en ont pas et ça, c’est vraiment fou. Et si on n’a pas créé ces souvenirs de « je me suis endormie en regardant les étoiles ou dans un transat, allongé dans l’herbe » , si on n’a pas, ne serait-ce que quelques fois vécu ça dans son enfance, on n’a pas les émotions gravées et on ne va pas le reproduire puisqu’on ne sait même pas que ça existe. Il faut absolument continuer à créer ce lien parce que sinon, bientôt, les gens trouveront normal que la nuit, les étoiles n’existent pas. Il n’y a qu’en Norvège qu’on peut aller les voir et puis chez nous, c’est normal de ne pas les voir. On entend déjà ça :  « c’est normal de ne pas les voir ». Non, ce c’est pas normal. La Voie lactée, on l’a au dessus de nos têtes, toutes les nuits, partout dans le monde. Il suffit de sortir par la porte et tout enfant devrait avoir le droit de voir la Voie lactée. 

Voix off  Carole cherche à retrouver et à photographier le ciel étoilé de son enfance et plus que tout, elle souhaite que la jeunesse d’aujourd’hui puisse aussi en faire l’expérience car un phénomène nous menace. Si les étoiles brillent de moins en moins au fil des générations, nous risquons d’oublier que ces ciels ont un jour existé. On appelle cela l’amnésie environnementale. Dans les Cévennes, l’obscurité revient et ailleurs en France d’autres réserves de ciels étoilés sont nées. Le pic du midi dans les Pyrénées, le parc du Mercantour et le plateau de Millevaches en Limousin. Préserver l’obscurité, c’est aussi protéger de nombreuses espèces vivantes qui sont affectées par la lumière artificielle car la nuit est indispensable au vivant. 

Pour connaître le meilleur de Nouvelles Écoutes et ne rater aucun épisode du studio, inscrivez-vous à notre newsletter !