EMMANUEL
Bienvenue dans Splash, le podcast qui jette un pavé dans la mare de l’économie. Aujourd’hui, on va parler de pannes d’électricité, de dette publique, et de clientèles politiques. On se penche sur le Liban, un pays qui traverseune grave crise économique, mais aussi politique. Pourquoi le Liban est-il en train de s’effondrer? Et, peut-il s’en sortir?
Ça faisait longtemps que je voulais faire un épisode sur le coût de la corruption. Combien ça coûte aux populations qui en sont victimes ? Combien ça rapporte à ceux et celles qui corrompent ?
C’est un exercice qui a été fait à plusieurs reprises, et sur lequel des économistes continuent de travailler, malgré un problème assez évident de récolte de données: si vous gagnez votre vie en rackettant la population, vous ne devezsûrement pas déclarer vos revenus aux impôts, par exemple.
Il faut donc reconstituer des séries statistiques, afin de comprendre comment la corruption pèse sur les populations concernées. C’est ce sur quoi bossent notamment les chercheurs et les chercheuses de la Banque mondiale ou du FMI : sur les coûts directs et indirects de la corruption.
Exemple: admettons que vous êtes fonctionnaire, en charge de l’accès à une filière d’études supérieures, et que vous en profitez pour faire payer, illégalement, un droit d’entrée. Ça réduit le pouvoir d’achat des victimes de ce chantage… et ça augmente le vôtre !
Mais, à un niveau macro économique, la corruption a-t-elle seulement des effets de redistribution? Autrement dit,est ce qu’elle ne fait qu’augmenter les inégalités ?
Pas seulement.
Les travaux de Paulo Mauro, Paulo Medas et Jean-Marc Fournier, par exemple, montrent que : Les Etats dans lesquels l’administration est corrompue ont plus de mal à lever des impôts – parce que les gens cherchent à cacher leurs revenus imposables autant que possible. Résultat : moins de services publics, et quand il y’en a, ils sont défaillants.
Exemple au Liban, choisi par Sahar Al Attar, journaliste économique à
L’Orient – Le jour, un quotidien libanais indépendant :
SAHAR AL ATTAR
C’est celui, notamment, de la gestion des déchets, une compagnie qui gérait toute la filière pendant des années. Etce n’est que après – on a eu une grande crise de déchets en 2016 – qu’on s’est rendu compte à quel point ça faisait des années qu’on payait extrêmement cher, que les Libanais payaient extrêmement cher ce service qui va de lacollecte jusqu’à l’enfouissement, très inefficace, qui a coûté une fortune aux contribuables malgré des manifestations à l’époque qui avaient eu lieu. Malgré tout ça, finalement, on a remplacé ce système par un autre système beaucoup plus opaque, avec un peu plus de compagnies enjeu. Donc on n’est plus dans un monopole.
Il y a d’autres joueurs, mais bon, tout le monde sait que les joueurs sont des proches, des politiciens. Il y a toujours aucune transparence. Aujourd’hui, effectivement le contribuable libanais ne sait pas exactement combien il paye le traitement de ses déchets et la gestion de ces déchets. Il y a une opacité, une opacité totale.
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Deuxième point : des marchés publics sur lesquels se développent la corruption peuvent aboutir à des investissements mal faits, trop
faibles, et guidés par autre chose qu’un principe d’efficacité. C’est d’autant plus le cas quand la concurrence est faible et que les pouvoirs publics ont affaire à une grosse entreprise en monopole, comme le disait Sahar Al Attar: plus facile d’aller chercher des commissions et des pots-de-vin dans une grosse entreprise, qu’auprès d’une multitude de petits commerçants.
SAHAR AL ATTAR
Le problème, c’est que la corruption est telle que tous les grands marchés publics se partagent. Soit ils arrivent à trouver un accord qui permet à une partie de redistribuer, si vous voulez, une commission un peu sur tout le mondeet tout le monde est content et que le projet passe, soit on n’arrive pas à s’entendre sur la façon dont on va répartir les commissions et à ce moment là, le projet ne passe pas. Et un des secteurs les plus emblématiques où il n’y a pas eu d’investissements publics depuis les années 90, c’est l’électricité. Il y en a eu au tout début, au lendemain de la guerre, la guerre civile, et tout le monde s’est rendu compte que c’était un secteur juteux, étant donné l’importance des investissements pour une centrale ou quelque chose comme ça. Ils sont tellement important que ça a tout desuite été grippé. Par qui veut sa part, quelles centrales on va construire ou comment ? On a décidé tout simplement d’arrêter d’investir. »
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Troisième point, qui découle directement de ce constat : les dirigeants politiques corrompus préfèrent dépenser desfonds publics dans l’armée, ou pour construire des autoroutes, plutôt que dans les salaires de milliers d’enseignantsou de soignants, plus difficiles à corrompre car plus nombreux. Donc, on finance mal les principales sources decroissance, à savoir celles qui créent du capital humain.
Pour toutes ces raisons, et en tenant compte d’autres variables comme l’inflation ou le système de changes, un article déjà ancien d’Axel Dreher et Thomas Herzfeld a chiffré le coût total de la corruption en comparant plusieurs pays.
Pour ça, on utilise un indicateur de corruption perçue, qui se chiffre en points, en l’occurence de o à 6. Et on regarde ce que ça change, d’un pays à l’autre, si l’indicateur augmente ou diminue – en contrôlant avec d’autres variables. Résultat observé: la corruption réduit le niveau de vie, mesuré par la croissance du PIB. Un point de corruption en plus sur ce score, c’est 0,13 points de pourcentage de croissance du PIB en moins.
L’un des indicateurs de corruption perçue les plus connus, c’est celui de l’ONG Transparency International. Il est fondé sur un questionnaire auprès d’experts indépendants, nationaux et internationaux. Donc Transparency International peut mesurer chaque année qui sont les mieux classés (le Danemark, en 2020n avec un score de88/100), et les moins bien classés. Et en 2020 le Liban était bien au fond du classement, avec un score de… 25. (Pour information, la France était 23e, avec un score de 69).
Ok, on peut donc faire des enquêtes internationales pour chiffrer les problèmes liés à la corruption. Mais ce faisant, on a du mal à comprendre la persistance de ce phénomène. Puisque à peu près tout le monde est d’accord, en théorie, pour avoir une administration efficace, des impôts qui servent à quelque chose, et des politiciens honnêtes, comment se fait-il qu’on ait l’inverse… et que ça continue pendant des années?
Pour répondre à cette question, commençons par décrire l’économie libanaise en 2021.
Vous vous souvenez sans doute de l’énorme explosion dans le port de Beyrouth, la capitale libanaise, le 4 août 2020. Elle a fait plus de 200 morts, 6500 blessés, et gravement endommagé le logement de centaines de milliers de personnes.
Et c’est aussi l’évènement qui a déclenché une grave crise politique : le gouvernement démissionne, et Saad Hariri, nommé en novembre, ne parvient pas à former de gouvernement pendant des mois.
Cette crise politique s’ajoute à une crise économique qui dure depuis 2018, et qui se manifeste par une perte quasi-complète de valeur de la monnaie libanaise, la livre. Officiellement, celle-ci est à parité fixe avec le dollar : un dollar vaut 1500 livres.
En réalité, sur le marché noir, début mai, un dollar valait plutôt 12 ooo livres libanaises. Dans le même temps, l’inflation dépasse les 100% : les prix doublent chaque année. Pour les Libanais et les Libanaises, mieux vaut donc échanger ses livres contre des dollars.
Oui, mais précisément : on en manque, de plus en plus.
Face à la chute de la valeur de la monnaie, et pour éviter que tout le monde ne change ses livres en dollars, lesautorités bancaires ont verrouillé les comptes en banque : pas moyen de retirer sa monnaie, sans accepter une décote de deux tiers, c’est-à-dire perdre les deux tiers de ses actifs. Et encore, les montants que l’on peut retirer, surtout en dollars, sont très faibles.
Mais comment se fait-il que tout le monde veuille des dollars ? C’est ce qui arrive dans le cas d’une crise de change, en général : quand une devise s’effondre, tout le monde s’en débarrasse au profit d’une monnaie forte, comme le dollar. Et on se met à payer tout ce qu’on peut avec des dollars, y compris les achats courants. Ce faisant, le taux de change de cette devise dégringole encore plus, et la crise s’aggrave.
Cependant, dans le cas libanais, ça ne date pas d’hier. Le problème initial, c’est que le Liban importe beaucoup plus qu’il n’exporte : sa balance commerciale est gravement déficitaire, de l’ordre de 15 à 17 milliards de dollars par an, depuis les années 2000. Il faut donc trouver quoi se payer les marchandises à l’étranger… c’est-à-dire des dollars. Et comme l’explique Sahar Al Attar :
SAHAR AL ATTAR
En fait, on a eu recours à l’endettement public et l’idée a été – au lieu d’aller sur les marchés internationaux qui sont quand même très regardants sur la viabilité ou l’état de l’État qui s’endette- on a préféré s’endetter à travers le secteur bancaire. On a voulu attirer les dépôts dans le secteur bancaire, puis ensuite employer ces dépôts dans de la dette publique. Donc, à mon avis, ça évite le recours à des marchés internationaux au moment où il était clair que le Liban a un problème de gouvernance, où l’Etat est très corrompu, où la dette publique était insoutenable.
Donc, il est plus difficile d’aller lever de l’argent sur les marchés internationaux, dans les marchés des capitaux, quand on est un Etat aussi incompétent que l’État libanais. L’astuce a été de financer à travers les banques localeset les banques locales, elles vont attirer de l’argent de
l’étranger, de la diaspora libanaise parce qu’on a un énorme atout, c’est à dire avoir une diaspora libanaise un peu partout dans le monde, beaucoup en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique et dans les pays du Golfe. L’idée était d’aller attirer l’épargne de ces gens là au Liban, puis d’utiliser cette épargne pour financer la dette publique et lesdépenses publiques.
EMMANUEL
En clair, les banques privées libanaises, aidées par la banque centrale, ont mis en place des taux d’intérêts très importants pour les placements en dollars, jusqu’à 17% par an !
Imaginez : vous êtes une famille libanaise qui vit aux Etats-Unis. Vous avez 10000$ d’économies dont vous ne savez pas quoi faire. Si vous les placez sur un compte américain, ou même sur des placements risqués, ça vous rapportera peut-être 500$ au bout d’un an. Mais si vous confiez vos économies à une banque libanaise, au bout d’un an, ellevous donne… 1700$ !
Donc, les Libanais qui vivent à l’étranger placent leur épargne au Liban… et le Liban dispose de devises pour financer sa consommation courante. Et peut être un peu d’investissement…. mais pas assez, précisément en raison de la corruption endémique.
Or, un pays qui pendant des années n’investit pas, et finance sa consommation grâce à l’épargne étrangère, c’est un pays qui se prépare à une crise monétaire. Pourquoi garder de la monnaie nationale si celle-ci n’a de valeur que sur le papier ?
Ce sont donc les banquiers libanais qui ont bien profité de cette manne étrangère, mais pas la population. Et lorsque celle-ci a voulu retirer massivement son épargne des banques, l’Association des banques du Liban a décrété un contrôle des capitaux : interdit de retirer ses économies, à moins de renoncer à une grosse partie d’entre elles.
À ce stade, on peut se demander pourquoi les banquiers libanais, mais aussi et surtout les responsables politiques,n’ont pas vu la crise arriver, et n’ont pas changé de politique.
D’ailleurs, Riad Salamé, le gouverneur de la Banque du Liban depuis 1993 (rien que ça !) fait l’objet d’enquêtes de la part de la justice française, et suisse. Mais pour l’instant, la justice libanaise n’a pas beaucoup inquiété les responsables politiques. Et c’est sans doute, parce qu’elle n’a pas les moyens de se montrer trop indépendante et offensive.
SAHAR AL ATTAR
Il y a des ouvertures d’enquêtes habituelles aboutissent jamais. Donc, à ce jour, tout le monde parle de la corruption, mais elle reste un concept, si vous voulez, parce que tout le monde sait – au niveau de la petitecorruption, on le sait parce qu’on y participe. Tout citoyen libanais, quand il va, il paye un petit pot de vin aux fonctionnaires pour obtenir le moindre papier ou obtenir des passe droits : la petite corruption, on l’a dit parcequ’ on le sait, on la reconnaît parce qu’on est partie prenante dedans. La grande corruption, elle est plus difficile à prouver, plus difficile à démontrer, mais aujourd’hui, des enquêtes préliminaires ont été ouvertes en Suisse ou ailleurs, il y a un peu – le problème c’est qu’il y a la présomption d’innocence. Tant qu’il n’y a pas une justice, tant qu’il n’y a pas eu un tribunal. Tant qu’il n’y a pas d’effet, enfin…- il n’a pas été démontré, si vous voulez, qu’il y a euviolation de la loi et qu’il y a eu effectivement détournement de fonds ou corruption, il est difficile d’accuser oud’affirmer qu’il y a de la corruption. Mais on sait aujourd’hui que s’il n’y a pas de condamnation s’il n’y a personnequi a été condamné pour corruption ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de corruption, mais parce que la justice libanaise est complètement ligotée.
EMMANUEL
Les citoyennes et les citoyens libanais ont commencé à porter plainte contre le système bancaire, à la fois au Libanet via des juridictions étrangères. Riad Salamé, quant à lui – vous savez, celui qui dirige la banque centrale depuis 28 ans – eh bien Riad Salamé clame qu’il est un« bouc émissaire» et qu’on veut le rendre personnellement responsable de la crise.
Pour autant, depuis près d’un an, la colère et parfois même le désespoir des Libanais n’a pas produit debouleversement complet de l’appareil politique.
Et alors, comment le comprendre ? À ce stade, vous devinez ce que je vais vous dire : pour le comprendre, il fautfaire un peu d’histoire.
Dans le cas du Liban, ça pourrait être très compliqué – parce que l’histoire de ce pays est très dure à résumer enquelques minutes. Mais pour saisir ce qui s’est passé à partir de 2018, il faut remonter au moins jusqu’à la guerre civile, et peut-être même avant, comme l’explique Sahar Al Attar:
SAHAR AL ATTAR
Le clientélisme est quelque chose qui date d’avant la guerre civile. La guerre civile, a ajouté, a contribué à affaiblirénormément l’Etat. Donc, quand on est sorti de la guerre civile en 90, il y avait déjà plus d’électricité. Les routes étaient cassées, les services publics étaient déjà défaillants. Donc, il aurait fallu à ce moment-là faire un énorme chantier de reconstruction et de renforcement de l’Etat et des services publics. Au lieu de ça, on a investi énormément d’argent pour justement financer les réseaux clientélistes et la corruption.
EMMANUEL
Sahar Al Attar parle ici de deux phénomènes différents, même s’ils vont souvent de pair : la corruption – donton a déjà parlé – et le clientélisme. Parce qu’avoir du pouvoir, ça peut vous rapporter de l’argent directement (si vous faites payer l’usage des ressources publiques), mais ça peut aussi vous permettre autre chose : vousconstituer une clientèle. Non non, pas exactement comme une boutique.
Il s’agit plutôt des gens à qui vous pouvez proposer des emplois, des passe droit, ou tout simplement de l’argent, pour vous assurer qu’ils votent pour vous à la prochaine élection. Or les systèmes politiques clientélistes se fondent souvent sur d’autres formes de solidarité. Au Liban, les responsables
politiques ont souvent des clientèles qui sont fondées sur une appartenance religieuse. Et ça aussi, c’est un héritage de l’histoire libanaise.
L’Etat libanais a des frontières qui remontent aux années 1920, au moment où les puissances européennes, ensortant de la première guerre mondiale, se sont partagés les restes de l’empire ottoman. La France exerce alors un mandat sur le Liban, en cherchant à maintenir au pouvoir une élite politique qui se recrute surtout parmi les chrétiens maronites. Mais à côté de cette communauté, on trouve de nombreuses autres communautés d’appartenance religieuse. Pendant longtemps, le Liban a été un Etat multiconfessionnel, non sans tension, maisgouverné de manière à peu près apaisée. Jusqu’à la guerre civile, qui commence en 1975 et dure quinze ans. Orcette guerre pèse encore lourd dans l’héritage politique du Liban actuel:
SAHAR AL ATTAR
Comme les gens étaient sortis d’une guerre civile quand même, où ils se sont massacrés ou tués pendant 15 ans, il ya eu cette rhétorique après guerre où on est sorti , où chaque leader communautaire se portait comme le garant de de la protection de sa communauté. Et comme il y avait eu pendant la guerre quand même, ces miliciens qui aujourd’hui sont une grande partie de la classe politique, pendant la guerre, par exemple des milices, les besoins primaires c’étaient les milices qui assuraient à leurs communautés. Et quand on est sorti de la guerre, on a reproduit ça à échelle plus grande en divisant l’Etat si vous voulez, entre chaque communauté et chaque communauté, chaque homme politique avait le rôle d’assurer une meilleure part ou la plus grande part du gâteau à sa communauté à lui. Et tout cela au détriment de mécanismes de transparence et d’égalité et d’équité. En fait, ça a créé beaucoup d’inégalités et au prix d’un renforcement de l’importance des chefs communautaires par rapport à l’Etat qui lui, a continué à s’affaiblir.
Ca veut donc dire que la classe politique libanaise, même si elle est traversée de conflits, est constituée de gens quiont un intérêt commun : garder chacun leur clientèle.
SAHAR AL ATTAR
Parce qu’aujourd’hui, on est tellement désespéré que pour trouver un médicament, pouvoir trouver une place dans un hôpital ou pouvoir trouver un boulot pour son fils, on est obligé d’aller chez les leaders politiques et leur dire « Aidez moi, trouvez moi quelque chose ». La différence, c’est qu’avant ces gens là, ils passaient par l’Etat pour pouvoir fournir ces services. Aujourd’hui, l’État étant défaillant, ils vont devoir trouver une manne pour financerces réseaux-là, ces filets sociaux, si vous voulez, à leur clientèle, alors comment les financer ? C’est soit des gens qui, justement, grâce à la corruption, ont fait tellement d’argent et ont sorti leur argent à l’étranger, en Suisse, en France. Soit ils ont de l’argent à l’étranger pour qu’aujourd’hui, il leur suffise de rapatrier une infime partie de cet argent pour pouvoir financer un semblant de filets sociaux.
EMMANUEL
Et l’Etat reste faible, de même que les grandes entreprises publiques. Et d’après Sahar Al Attar, ce qui pose problème au Liban, ce n’est pas le poids important de sa dette publique – c’est ce à quoi elle a servi.
SAHAR AL ATTAR
Le problème, effectivement, c’est que tout l’argent a été dépensé pour des dépenses courantes et pas des investissements parce que l’optique a été tout simplement de partager la manne immédiatement et donc d’aller vers des projets qui sont juteux et qui peuvent rapporter immédiatement. Et la corruption a beaucoup réduit l’efficacité de tous les investissements qui ont été réalisés et il n’y a eu aucune volonté d’investir sur l’avenir. L’argent est parti, si vous voulez, pour dépenser le train de vie de l’État.
EMMANUEL
Dans ces conditions, pour obtenir ce qui devrait être des services publics, les Libanais paient trop cher, et sont trèsmal servis. Ils sont par exemple obligés de s’équiper en générateurs d’électricité, qui ont un rendement faible et sont
très polluants, faute de vraies centrales électriques et de réseau digne de ce nom. Et les marchés publics sontdistribués à des sociétés proches du pouvoir politique.
Du côté des banques, le tableau est malheureusement le même, comme on l’a vu. Mais un système bancairedéfaillant, ce ne sont pas seulement des clients mécontents, c’est carrément toute une économie qui étouffe.
Alors, comment sortir de cette impasse ? L’aide internationale peut jouer un rôle de pression, comme le dit Sahar Al Attar:
SAHAR AL ATTAR
Tout le monde savait qu’il y avait de la corruption au Liban et que la classe politique était corrompue. Et pourtant, on a fermé les yeux parce qu’on considérait peut être que c’était le prix à payer pour maintenir la stabilité dans ce pays. Aujourd’hui, il semble que le discours est un peu en train de changer, notamment des Français et des Européens qui sont beaucoup plus exigeants. Et d’ailleurs, la dernière conférence qui a eu lieu à Paris – on l’a appelé la CEDRE, qui était une grande conférence de soutien au Liban – le discours a changé de la communauté internationale, il est de dire : « Faites les réformes, montrez nous que vous êtes capable de vous réformer et de faire des efforts au niveau de la transparence et de la corruption. Et on vous donnera l’aide ensuite. » Et c’est pour cela que l’aide n’est jamais arrivée. La conférence a eu lieu en 2018. Alors qu’avant, c’étaient des aides budgétaires qui ontrenfloué le Liban, puis ensuite on lui demandait de faire des réformes. Et quand on a changé de discours et qu’on a dit : « vous faites d’abord les réformes et ensuite on vous donne de l’argent. » L’argent n’est jamais venu. On voit bien que la classe politique a beaucoup de difficultés. Elle n’est pas prête à arrêter ses… à arrêter la corruption,arrêter sa façon de travailler parce qu’elle a pas envie de scier la branche sur laquelle elle est assise. Il faut dire quela corruption finance tout le système politique.
EMMANUEL
Les dirigeants français aiment bien faire la leçon aux Libanais sur la manière dont ils gèrent leurs affaires publiques, et c’est précisément ce que je vais éviter de faire ici. On peut en tout cas dire deux choses:
- L’explosion d’août 2020 a rendu encore plus vive la colère des Libanais contre leurs dirigeants, et le ras-le-bol est très perceptible aujourd’hui. La multiplication des procès pour corruption permettra sans doute de commencer à les mettre face à leurs responsabilités.
- En revanche, la classe politique libanaise ne semble pas décidée à sortir le pays de la crise, alors même quetout le monde, elle comprise, y aurait intérêt.
On va suivre avec attention ce qui se passe dans les mois à venir, et notamment la manière dont les partis d’opposition à ce système politique installé arrivent, ou pas, à s’allier les uns avec les autres. Si cet épisode nous a appris quelque chose, c’est que la corruption politique et le clientélisme, une fois qu’ils sont installés, restent durablement. Ce n’est pas seulement quelques points en plus dans un classement : ce sont des incitations à contourner la loi qui fonctionnent comme des cercles vicieux. Et pour en finir avec la corruption, il faut des réformesen profondeur que seule la population concernée peut elle-même décider, et imposer.
Spla$h est une émission écrite et présentée par Emmanuel Martin Produite et montée par Marine Raut
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