EMMANUEL MARTIN
Bienvenue dans Splash, le podcast qui jette un pavé dans la mare de l’économie. Je suisEmmanuel Martin, prof d’éco en prépa à Rouen, et tous les lundis je décortique avec vous un sujet d’économie. Aujourd’hui, on va parler de commissions, de transactions et d’intermédiaires de marché.Vous écoutez le premier épisode de la nouvelle saison de Splash. Pour ce mois de septembre, j’avais envie de regarder de plus près le fonctionnement du marché de l’immobilier français. Alors, non, vous n’écoutez pas un podcast de Capital ou de L’Express. Malheureusement, vous ne trouverez pas de conseils sur le placement de votre argent ou les différentes façons de vous enrichir en investissant dansla pierre. On va plutôt s’intéresser à ce qui se passe sur le marché de l’immobilier : à la fois des prix très élevés dans certaines villes, des logements sociaux en nombre insuffisant, ou encore tout ce que l’on doit débourser quand on achète ou quand on loue un appart. Et aujourd’hui, on s’intéresse à l’une des professions les plus méprisées de France : les agents immobiliers.
VIRGULE-TITRE
Les agents immobiliers doivent-ils disparaître?
EMMANUEL
En France, on comptait 27 366 agences immobilières en 2019. Celles-ci employaient 66 500agents. En plus de ces salariés, 59 ooo agents travaillaient « en indépendant » : pas pour une agence, mais à leur compte pour des réseaux immobiliers. Vous avez sûrement déjà vu, par exemple, despubs pour CapiFrance ou Optim’home. Plus de
100 ooo agents sillonnent donc le pays à la recherche de biens immobiliers à vendre. Mais d’ailleurs, en quoi consiste leur métier ? C’est ce que j’ai demandé à Clara Wolf, économiste, spécialiste du logement et du machine learning.
CLARA WOLF
Le rôle de l’agent immobilier, c’est principalement de rapprocher l’offre et la demande, c’est-à-dire de rapprocher les vendeurs des acheteurs. C’est une profession qui est encadrée par la loi Hoguet qui a été promulguée en 1970, mais appliquée en 1972. Vous avez donc ce qu’on appelle une carte T pour exercer cette profession. Cette loi a des spécificités, notamment, vous êtes obligés de disposer d’unegarantie financière et d’une responsabilité civile
professionnelle et vous ne pouvez être rémuneres, et c’est très important, qu’au moment de l’actefinal d’achat ou de vente. Cela veut dire qu’il est proscrit par la loi pour l’agent immobilier de se faire rémunérer pour les services qu’il apporte en amont. C’est assez fondamental parce qu’il ne peutpas vous facturer l’expertise du prix de votre appartement ou de votre maison, ni le fait de fairedes photos pour l’annonce, ni tous les services qu’il vous apporte en amont.
EMMANUEL
Pour gagner de l’argent, l’agent immobilier doit donc vendre le bien. C’est à ce moment-là qu’il touche une commission, 4 à 5% du chiffre de vente.
CLARA WOLF
En fait, les agents immobiliers passent toute une partie de leur temps à travailler, à faire toutesces stratégies de commercialisation dont je vous parlais, à gérer tout l’administratif et aussi à faire de l’assistance juridique dans votre transaction immobilière. Et à la fin, ce n’est pas eux qui vendent votre bien. Donc ils ne sont pas payés pour ce travail qu’ils ont effectué. Et du coup, ils sont obligés de compenser sur les transactions qu’ils effectuent. D’où une commission moyenne en France qui atteintles 5%.
EMMANUEL
En France, 66% des vendeurs font appel à un ou une agent immobilier. Ceux du dernier tiers se débrouillent par eux même via les sites de vente entre particuliers. 66%, ça paraît énorme. Pourquoi payer quelqu’un à faire quelque chose que vous pourriez faire vous même?
CLARA WOLF
Je dirais que l’apport fondamental de l’agent immobilier, c’est de vous trouver une stratégie de commercialisation pour votre bien. Vous, en tant que vendeur, vous allez aller le voir. Vous allez lui dire bon, c’est dans le cadre d’un divorce, d’une succession ou j’ai d’autres envies, je veux changer de bien. Et lui, il va cibler des acheteurs qui sont fiables et aussi qui sont solvables.
EMMANUEL
En fait, les agences immobilières représentent un « coût de transaction » : sur un marché où l’information serait parfaite, acheteur et vendeur se trouveraient et s’entendraient instantanément, etdonc personne n’aurait besoin de faire appel à elles ! Mais ce n’est pas le cas : on a souvent besoin d’un intermédiaire de marché, ne serait-ce que pour collecter
l’information et la traiter. Et c’est bien là le filon pour les agences immobilières qui fleurissent à chaque coin de rue des villes françaises et s’installent à la place des commerces de bouche et anciennes boutiques locales.
VIRGULE-SON
de 6:04 à 6:09
EMMANUEL
Et c’est assez paradoxal : comment se fait-il que ces agences immobilières survivent à la concurrence entre elles ? Comment se partagent-elles un marché hypertendu dans certaines villes comme Paris, Lyon, Bordeaux? C’est dans ces villes que l’on trouve des prix de plus en plus élevés. Enjuin 2021, par exemple, le site SeLoger.com calculait une hausse de 5,3% des prix en un an, et jusqu’à10% pour certains arrondissements.
VIRGULE-SON
de 6:30 à 6:35
EMMANUEL
Donc, il y a une demande très forte, qui ne baisse pas, au contraire, au fil des années, alors que l’offre reste faible. On ne construit pas beaucoup à Paris, ni dans le centre des grandes villes françaises. On pourrait se dire que c’est précisément cette hausse des prix qui favorise les agences. Elles jouissent d’une rente, parce que le marché est tellement saturé de demandeurs qu’il y a de la place pour beaucoup d’agences. Donc, les commissions restent élevées. En fait, c’est un petit peu plus compliqué, d’après Clara Wolf.
CLARA WOLF
Les agents immobiliers n’ont pas spécialement d’intérêt à la hausse des prix. D’une part, la commission n’est pas totalement proportionnelle au prix. Alors oui, c’est un pourcentage, mais plus le prix du bien augmente, moins le pourcentage prix va être élevé. Sur des biens très chers, plus d’un million d’euros, la commission moyenne n’est pas de 5%. Elle va plutôt approcher les 3%… Et surtout, ce qui influence vraiment les prix de l’immobilier, ce sont plutôt les conditions de financement. On est dans une période de taux d’intérêt très bas. Ça va faire un dynamisme sur le marché du crédit qui vapousser à la hausse les prix de l’immobilier. C’est plutôt des conditions structurelles. Ça serait comme dire que ce sont les médecins qui créent le COVID. Ils ont intérêt à vendre, par exemple,
10 maisons ou des appartements avec une commission entre en moyenne 4- 5% plutôt que vendre unseul bien très cher.
EMMANUEL
Lorsque Clara Wolf parle de l’idée farfelue selon laquelle on pourrait accuser les médecinsd’avoir créé des virus pour avoir plus de patients, elle explique que, de même, les agents immobiliers ne créent pas la hausse des prix. Pour autant, c’est la tension du marché qui permet aux agences de survivre : le pourcentage des honoraires touchés s’applique au prix de vente du logement. À Paris, le prix du mètre carré a été multiplié par quatre en 20 ans: 9 680 euros/m2 au premier trimestre 2019contre 2 410 euros/m2 à la même période en 1998 selon un article de Libération publié en 2019. On en est désormais à 11 200€ du m2 en juin 2021. Et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle pour les agents immobiliers.
VIRGULE-SON
de 8:45 à 8:50
EMMANUEL
Dans les grandes métropoles, là où les prix de l’immobilier s’envolent et où le marché ressemble à un champ de bataille, appartements et maisons se vendent en quelques visites. Avec à la clé, pourl’agent immobilier, des commissions de centaine de milliers d’euros ! D’autant plus que, comme le disait Clara Wolf, les taux d’intérêt sont particulièrement faibles en ce moment : les Français ont de l’épargne (encore plus depuis cette année) et s’endetter ne coûte pas cher ! Donc, ils cherchent à investirdans la pierre, comme on dit – c’est une tendance qui remonte au XIXe siècle, d’ailleurs : on achète du solide plutôt que des placements financiers, même si ces derniers ont beaucoup progressé depuis les années
80. Conséquence ? Il y a une grosse pression du côté de la demande : les prix sont très élevés.En 2020, les agences ont réalisé 980 ooo transactions pour un chiffre d’affaire de 37,47 milliardd’euros. Les agents immobiliers ne sont donc pas trop à plaindre. Mais combien de temps cela va-t-il durer ? Car tout ça, c’est sans compter l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché depuis 2018, des acteurs qui pourraient révolutionner les pratiques et aggraver la concurrence. Je vous parle ici des nouvelles start-ups, type Les Agences de Papa ou Liberkeys. Ces agences proposent une commission fixe, peu importe le prix du bien. Que vous vendiez votre deux pièces à Saint-Ouen ou que votre grand-mère décide de quitter sa maison avec jardin à Lyon, vous ne paierez que des frais d’agence, toujours fixes. Par exemple, chez Les Agences de Papa, ces frais sont fixés à 2 ooo euros. J’ai demandé à Clara Wolf de m’expliquer comment ces agences se sont créées.
CLARA WOLF
Vous avez l’arrivée d’Internet, cette digitalisation qui a amené effectivement un peu moins d’asymétrie d’information entre l’agent immobilier et le particulier, dans le sens où vous pouvez rechercher des informations sur Internet, faire des estimations de prix aussi. Il y a moins de visites inutiles parce que vous voyez des vidéos et les photos de votre bien immobilier sur les annonces. Donc, les nouveaux acteurs du marché de l’immobilier vont avoir un axe de positionnement sur le prix, sur la commission et sur la qualité des prestations. Vous avez effectivement Les Agences de Papa, toutes ces agences à commissions réduites qui vont essayer de prendre des parts de marché surdes marchés très dynamiques de l’immobilier. Ils ne sont implantés que dans des grandes villes. Certains ne sont implantés, par exemple, qu’à Paris ou dans l’Île-de-France. Et le concept, c’esteffectivement de digitaliser tout le processus de vente.
EMMANUEL
Digitaliser le processus de vente mais aussi réduire les tâches normalement assignées à l’agent : prendre en photo le logement, conseiller le vendeur, etc… En fait, c’est le pompon ! Vous pouvez vendre en tant que particulier votre logement, mais au lieu de cela, vous le confiez à une agence quivous fait prendre les photos, publier l’offre sur leur plateforme et qui encaisse ensuite les frais de commission lors de la vente. C’est tout bénèf pour l’agence !
CLARA WOLF
Donc cela veut dire quand même que vous n’avez pas nécessairement un expert qui va venir sedéplacer en personne pour voir l’état intérieur de votre bien. Et si on regarde vraiment précisément leprix des services qui sont proposés, par exemple, par les agences à commissions réduites, les agencesdigitales, à services équivalents, on atteint quand même des commissions de 3%. Il y a effectivement quelque chose d’intéressant à faire des commissions fixes dans des marchés très liquides où le marchéest très tendu et où il est plus facile de vendre et d’acheter. Mais la question que je me pose, c’est la pérennité financière.
EMMANUEL
Face à des commissions qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros, l’offre est très tentante. Comment ces nouvelles agences peuvent-elles réussir à réaliser un chiffre d’affaires assez conséquent pour survivre ?
CLARA WOLF
Le pionnier des agences digitales, c’est Purplebricks en Angleterre. Et effectivement, ils ontpris 6% de part de marché des
transactions en Angleterre, mais seulement 1% en terme de chiffre d’affaires, parce qu’ils avaient lemême modèle que Les Agences de Papa en France. Ils prenaient 1500 pounds par an de commissions fixes et maintenant, ils en prennent 5 ooo parce que c’est quand même des entreprises qui se doivent d’être rentables. Avec des commissions fixes, vous avez intérêt à faire beaucoup, beaucoup de volume. Donc, se pose aussi une question : est-ce qu’ils ne sont pas obligés de pousser le particulier à vendre leplus possible pour faire le plus vite possible, pour faire le plus de volume de transactions possibles et être rentables ?
EMMANUEL
Alors, évidemment, les agences dites traditionnelles ne sont pas ravies ravies de l’arrivée de ce type d’acteurs sur le marché. Elles parlent d’ubérisation du marché immobilier.
CLARA WOLF
Mais du coup, il y a des étapes de votre transaction sur lesquelles ils ne pourront pas vous accompagner. Un agent immobilier qui a une carte T, par exemple, peut signer un compromis de vente ou peut faire le séquestre de votre dépôt de garantie. Ce que ne peut pas faire une agence digitale a priori, sauf si des membres de l’agence digitale ont une carte. Il y a une différenciation sur la qualité. Effectivement, dans des marchés peu tendus où il faut négocier le prix… D’ailleurs, ces agences digitales ne sont pas présentes sur ces marchés. Et puis après, on retombe sur les mêmes arguments. Est-ce qu’un particulier fait aussi bien visiter un bien ? Et comme je le disais, le particulier a une relation affective avec son bien immobilier et du coup, il va peut être lâcher desinformations qu’il n’aurait pas dû lâcher. Les acheteurs, quand ils voient en direct les particuliers, qui sont les vendeurs, ont tendance à beaucoup plus négocier.
EMMANUEL
Traduction : si le but de ces agences est de vendre le plus de biens possible, alors ce sera tant pissi le bien est vendu à un prix plus bas que sa réelle valeur. L’agence, elle, touchera de toute façon sa commission, fixe. Alors, comment fait-on? Si la prochaine évolution du métier de l’immobilier, c’est un modèle type Les Agences de Papa, est-ce qu’on pourrait pas simplement nous débarrasser des agences immobilières ? D’autant plus que, comme je le rappelais au début de cet épisode, ce métier est franchement mal aimé. Clara Wolf, elle, incrimine la législation française, qui aboutit à ce que les particuliers connaissent mal le travail fait par les agences.
CLARA WOLF
Je pense que la mauvaise image des agents immobiliers est effectivement liée à l’encadrementde leur rémunération qui est faite par la loi Hoguet. Comme ils ne sont rémunérés qu’au moment de la transaction finale de l’acte de vente final de votre bien, les particuliers ne voient pas le retour sur investissement, alors qu’il y a eu tous ces services en amont: l’expertise sur le prix, la définition de votre attente et de celui de l’acheteur, le ciblage des bons acheteurs, la sélection d’acheteurs motivés, fiables, solvables, une mise en valeur de votre bien avec des photos professionnelles, parfois une visite 3D, parfois un peu de home staging, une négociation du prix. Tout le côté administratif de collecte des pièces, les diagnostics, l’état de la copropriété, se renseigner sur le plan annuel de travaux, est-ce qu’il y a des copropriétaires qui ne payent plus leurs charges depuis des années. C’est très important quand vous achetez un appartement. Ils vous apportent aussi une sécurité juridique,ils ont leur responsabilité civique professionnelle, une garantie financière qui couvre en cas d’erreur, de faute. Ils sont aussi là au moment de l’organisation du compromis et de la signature chez le notaire. Donc vous voyez, c’est quand même beaucoup de services. Finalement, en moyenne en France, une commission, c’est 10 ooo euros. Ils vous accompagnent sur un processus qui dure trois mois. Et comme je vous le disais, dans 85% des cas, le particulier n’a donné qu’un mandat simple. Cela veut dire qu’il y a énormément de cas où ils vont travailler et ne pas être rémunérés. Et effectivement, ils sont obligés de compenser un peu au niveau de la commission sur les transactions qui se font. D’ailleurs, signer un mandat exclusif est un moyen d’avoir une commission un peu plus faible. Donc oui, je pense que cette mauvaise image vient vraiment de cette rémunération et de son encadrement légal.
EMMANUEL
À vrai dire, si les agences se maintiennent à flots, et même se multiplient dans les centres des grandes villes, c’est sans doute que les particuliers ne sont pas complètement aveugles aux services qu’elles rendent. Et à l’inverse, si elles sont menacées par l’ubérisation du marché et le développement des échanges de particulier à particulier, eh bien, pas besoin de réglementer davantage. Dans ce cas, on verra peut-être les agences les moins talentueuses – celles qui offrent le moins de services à leurs clients – disparaître du marché, tout simplement. Et donc peut-être,permettre de baisser les frais de commission. Résumons un peu: Internet a montré qu’on n’avait pas forcément besoin d’agences pour vendre ou louer son bien. Face à ça, le succès des agences à commissions fixes montrent que les gens sont peut-être moins prêts à payer de si hauts frais decommission. La défiance à l’égard des
agences se maintient. Et comme elles profitent d’une rente pour vivre, elles sont menacées par la concurrence, de plus en plus importante et finiront peut-être par s’éliminer entre elles. Et cela permettrait d’avoir un marché plus fluide, et surtout de baisser les prix…
CRÉDITS
Splash est une émission de Nouvelles Écoutes.
Elle est présentée et écrite par moi, Emmanuel Martin. Cet épisode a été écrit par Marine Raut.
Interview réalisée par Mathilde Janin. Production et Réalisation: Marine Raut
Mixage : Adrien Beccaria à l’Arrière Boutique Studio