EMMANUEL
Bienvenue dans Splash, le podcast qui jette un pavé dans la mare de l’économie. Je suis Emmanuel Martin, professeur d’économie en prépa à Rouen, et tous les lundis je décortique avec vous un sujet d’économie.
Aujourd’hui, on va parler de loyers modérés, de non-mixité, et de Neuilly-Sur-Seine.
Pour ce deuxième épisode de notre série spéciale Immobilier, on s’intéresse aux logements sociauxen France.
JINGLE SPLASH IMMO
Même si tous les maires et mairesses de France n’ont pas l’air d’être au courant, les communes sontdans l’obligation de disposer de 20% à 25% de logements sociaux en 2025, depuis l’instauration de laloi SRU (pour solidarité et renouvellement urbains) en 2000.
Pour autant, en 2019, plus de la moitié des communes concernées n’avait pas rempli leur quota. Certaines choisissent même consciemment de payer une amende plutôt que de construire des logements sociaux.
Pourquoi?
VIRGULE
Sommes-nous radins en logements sociaux?
Je ne vais pas laisser beaucoup de suspense, pour une fois, et je vais répondre à la question, tout desuite… OUI nous sommes en radins en logements sociaux.
Je ne vous abandonne pas là, on va plutôt se demander pourquoi? Par pure radinerie? Parce que c’est un peu… trop compliqué? … Par peur de la mixité sociale? Oui on s’en rapproche…
Laissez-moi d’abord vous rappeler comment ça fonctionne…
La loi SRU de 2000 a été conçue pour améliorer le droit de l’urbanisme et du logement en France.
1152 communes sont concernées par la loi SRU : elles comptent plus de 3 500 habitants et font partie d’une agglo de plus de 50 ooo habitants, dont la ville centre a plus de 15 ooo habitants.
Le but:
- Compter au moms 20 à 25% de logements soc1a11x dans les communes
- Développer une plus grande solidarité entre les citoyens
- Proposer des loyers modérés à une partie de la population qui n’en aurait pas les moyens.
Les principaux locataires de ces logements à bas loyers sont en effet souvent des précaires :
- 60 % des ménages logés par les bailleurs sociaux ont des revenus inférieurs à 60 % des plafondsde ressources
- Un tiers deslocataires Hlm ont des ressources inférieures au seuil de pauvreté, contre 14 % pourl’ensemble des ménages.
J’ai rencontré Sandrine Levasseur, économiste à l’OFCE qui m’a décrit les populations concernéespar l’accès au logement social:
SANDRINE LAVASSEUR
Il y a différents types de logements sociaux. Il y a ce que l’on appelle les logements très sociaux. Dansle jargon des bailleurs sociaux, ce sont les logements PLA! (financé par un Prêt Locatif Aidé d‘intégration). Donc ça, c’est pour un public que l’on considère comme très précaire, trèsprécaire à la fois au niveau économique et
social. Donc, vous avez des gens avec des revenus qui sont très faibles. En règle générale, très endeçà du SMIC. Et donc, il y a des revenus d’activité qui sont insuffisants et qui sont en règlegénérale complétés par des revenus de subsistance. Ce sont des ménages qui sont précaires, voire très précaires. Ensuite, il y a des logements sociaux plutôt à destination de ménages avec desrevenus modestes, relativement stables. On va trouver beaucoup d’ouvriers ou des personnes de la fonction publique avec des revenus stables, mais peu élevés. Et enfin, troisième catégorie de logements sociaux, les logements PLS, qui sont là davantage à destination desménages que l’on considère à revenu intermédiaire. Typiquement, ce sont des instituteurs et des infirmières. Là encore, avec des revenus relativement stables, des gens qui ne sont pas dans le besoin, mais qui, malgré tout, au regard de la cherté du logement tant à l’acquisition qu’à la location, peuvent tirer bénéfice de la location d’un logement dans le parc social.
EMMANUEL
D’après des chiffres du Ministère de la Transition Ecologique publiés fin 2020, la France compte 4,7 millions de logements sociaux, pour 10 millions de locataires.
Pour pouvoir obtenir un logement social, il faut se situer en dessous d’un plafond de ressources. Pour une personne seule, par exemple, ce plafond est de 12 848€, pour accéder à un logement PLA-1. Et les plafonds sont plus élevés en fonction de la taille du ménage, et de la catégorie de logement. En moyenne, près de deux tiers des Français.e.s sont éligibles au logement social, selon Sandrine Levasseur.
Le problème, c’est que tout le monde n’arrive pas à accéder à un logement social : pour pouvoir en obtenir un à Paris, par exemple, il faut en moyenne :
6 ans pour un F1, 9 ans pour un F2 ou F3 et 10 ans pour un F4 et plus
Cela s’explique par le fait que le parc social est complètement bloqué
: une fois qu’un locataire obtient son logement, qu’il a attendu pendant de loooongues années, il n’en part pas!
SANDRINE LEVASSEUR
Le bail social est un bail à vie. Donc, si vous êtes rentré dans le parc social à un moment où vous étiez dans une situation relativement précaire avec de jeunes enfants, vous pouvez avoir accédé ily a vingt ans 30 ans, 40 ans à un logement social qui propose un loyer peu élevé.
EMMANUEL
Résultat : la liste des personnes en attente est de plus en plus longue. Une solution libérale, ce serait peut-être commencer par davantage contrôler les locataires qui ont des revenus bien plus élevés au bout de plusieurs années, pour certains.
Une autre raison à cet embouteillage pourrait êtrelefait que certaines communes ne respectent toutsimplement pas les 20 % fixés par la loi SRU en 2000.
Sandrine Levasseur :
SANDRINE LEVASSEUR
L’idée, c’est que chaque commune, en tout cas les grandes communes, doivent prendre leur part en matière d’accueil de populations modestes, très modestes. L’idée, c’est qu’ilfaut éviter la démotivation des populations. L’idée, c’est qu’il faut éviter la ghettoïsation des populations avec d’un côté je caricature les pauvres et de l’autre côté, les riches. L’idée, c’est vraiment de mettre enplace une mixité sociale au niveau communal.
EMMANUEL
Surces 1152 communes concernées par la Loi SRU :
- 629 ont déjà atteint les 25% de logements sociaux.
- 523 pas encore
- et 283 n’en sont même pas à la moitié.
Et parmi les villes de plus de 100 ooo habitants, quatre sont particulièrement en retard : Nice, Toulon, Aix-en-Provence et Boulogne-Billancourt.
Pour inciter ces communes récalcitrantes, des sanctions sont prévus par la loi SRU, sanctions quiont été alourdies par la Loi Alur ensuite
SANDRINE LEVASSEUR
A chaque fois que les objectifs intermédiaires ne sont pas réalisés, non seulement les communes doivent payer les prélèvements, mais en plus, le prélèvement peut être majoré. Lors des élections municipales de 2008, oncommence à prendre conscience que ces prélèvements au titre delaloi SRU, lorsque le quota n’est pas rempli, peuvent atteindre des montants non négligeables. Pour certaines communes, ça peut atteindre le million d’euros.
EMMANUEL
En avril 2021, 4 communes du Val d’Oise ont ainsi été épinglées, et doivent s’acquitter d’amendesallant de 400 ooo à 430 ooo euros.
Le problème c’est que certaines communes préfèrent s’acquitter de leur amende plutôt que de construire deslogements et respecter la loi. Ça peut vous faire penser au titre d’un articleassez connu en
microéconomie : « a fine is a price », littéralement, « une amende, c’est un prix. » Désobéir à la loi, ça peut vous coûter… pas si cher que ça, si l’amende est faible au regard du budget de la commune. Par exemple, Enghien-les-Bains,qui a payé cette amende de 430 000€, aunbudget de 53 millions d’euros en 2021!
Dans ce cas, à quoi bon faire des efforts ?
Première excuse, il y aurait des obstacles réglementaires qm ne permettraient pas de construire de nouveaux logements.
SANDRINE LEVASSEUR
Alors, il y a des freins qui sont objectifs à la construction de logements sociaux, ça, c’est vrai. Parmi les communes quz ne construisent pas de logements sociaux, on a un certain nombre de communes d’Ile de France. Ce sont des communes qui sont en général petites, riches. Idem dans les communes de la région Provence-Alpes- Côtes d’Azur (PACA). Ce sont des communes qui sont petites, riches, où le foncier disponible n’est pas toujours très abondant, ou alors lorsqu’il estdisponible à un prix très, très élevé. Et donc, ces communes-là disent que construire du logementsocial sur leur territoire est un non-sens. C’est à un coût prohibitif et donc elles préfèrent ne pasconstruire. Il ne faut pas non plus oublier que devant certaines communes de la région PACA, il ya des contraintes et d’autres contraintes objectives : le respect de la loi Littoral, le respect de Natura 2000 qui fait qu’effectivement, il y a le plan d’urbanisme, qui permet difficilement de construire des logements sociaux. Il y a quelques contraintes objectives.
EMMANUEL
L’argument écologique revient souvent. Comme dans cette lettre ouverte à Emmanuelle Wargon,la ministre chargée du logement,
envoyée par 22 maires du Val de Marne fin 2020. Ilsprotestent contre les sanctions appliquées auxvilles qui ne respectent pas les 20% de logements sociaux. Je cite :
« il est en contradiction totale avec le défi incontournable de préservation de l’environnement quz exige de maîtriser l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols mais aussi de créer de nouveaux espaces verts en milieu urbain. »
Ils pointent aussi le fait que chaque nouvelle résidence construite augmente mécaniquement le nombre de logements sociaux à produire. Et donc, l’objectif ne serait jamais atteignable.
SANDRINE LEVASSEUR
Un ordre d’idée en 2019, les prélèvements bruts au titre des non construction de logements sociauxdans le cadre de la loi SRU, c’est
185 millions d’euros. Les Communes, qui ont fait part de bonne volonté dans le cadre d’engagements de dépenses pour construire des logements sociaux dans le futur, ont vu l’ardoise, entre guillemets, diminuer de 82 millions d’euros au total en 2019. Il y a
103 millions d’euros qui ont été versés par les communes qui sont des sommes perdues une foispour toute, non récupérables. Elles sont versées à un fond pour construire du logement social, mais dans d’autres communes.
EMMANUEL
Certes, certains critères ne permettent pas à toutes les villes d’atteindre leur quota de logementssociaux. On peut tout de même douter que la priorité aux espaces verts soit toujours uniquement fondée sur des raisons écologiques. Mais bon, admettons.
Cependant, certaines communes font le choix délibéré de ne pas construire pour atteindre les 20%.D’ailleurs on voit même les parcs
sociaux de certaines communes régresser ! Soit en démolissant carrément certains bâtiments, soit en construisant beaucoup de logements privés au détriment de logements sociaux. Ici l’argument de certains maires de ne pas posséder assez de foncier dans leur commune ne fonctionne plus.
SANDRINE LEVASSEUR :
Il y a toujours des communes récalcitrantes, des communes qui, depuis le début, neconstruisentquasiment pas de logements sociaux qui préfèrent payer le prélèvement, quitte à être majorées.Mais ces communesont fait le choix assumé dene pas construire de logements sociaux. Il y a toujours des communes qui sont récalcitrantes et les prélèvements qu’elles paient sont alloués à un fond qui est utilisé pour financer pour financer la construction de logements sociaux dans d’autres communes.
EMMANUEL
C’est là que le bât blesse. Vous l’avez bien compris : des HLMs oui, mais ailleurs, pas de ça chez nous. Les amendes dues pour non respect de la loi SRU, c’est finalement le prixà payer pour rester entre soi, et ne pas avoir à gérer la construction de logements sociaux et la promotion de la mixitésociale. Les anglophones ont un nom pour ce phénomène : NIMBY, comme « Not in mybackyard ».Oui, je veux bien qu’on loge des SDF, c’est même très important! Mais pas juste à côté de chez moi,vous comprenez, ça va gâcher la vue de mon jardin…
SANDRINE LEVASSEUR
Ce sont très souvent des communes qui vont militer pour que les quotas sociaux existent, mais non pas à l’existant, non pas à l’échelle communale, mais à l’échelle intercommunale, à une échelle plus large à l’échelle de l’agglomération. Ils vont faire valoir que leur
logo, leur commune de base, leur spécificité, sociale ou pas, ne peut pas accueillir de locataires du parc social.
EMMANUEL
En 2018 La fondation Abbé Pierre avait identifié les villes récalcitrantes qui n’avaient jamaissatisfait aucun bilan, et surprise, ce sont souvent des villes aisées : je vous parle bien sûr de Neuilly Sur Seine… Durant la période entre 2017 et2019, elle possédait pas plus de 7 % de logementssociaux. Tant pis pour la mixité sociale.
Mais même dans les villes qui construisent suffisamment de logements sociaux, il existe une formede ségrégation des populations concernées. Une étude publiée en 2020 etmenée par les économistes Kevin Beaubrun-Diant et Tristan-Pierre Maury, spécialistes de l’évaluation des politiques publiques, affirment que la loi SRU serait je cite « un bon outil de promotion sociale pour lesclasses moyennes, mais pas pour les plus pauvres coincés dans la nasse des logements les plus anciens, dans les communes les moins mixtes ».
Qu’est-ce que ça veut dire:
- : Des « enclaves de pauvretés » se sont développées, dans des zones de forte concentration d’HLM avec beaucoup de ménages pauvres qui décrochent par rapport au reste du territoire ». Toujours selon ce rapport, ces « enclaves » sont « plus nombreuses et plus pauvres » en
2015 qu’en 1999.
- : Même si les communes retardataires ont en partie rattrapé ce retard, elles accueillent de nouveaux locataires « moins pauvres ». Sandrine Levasseur nous explique pourquoi :
SANDRINE LEVASSEUR
Ilest vrai que lebailleur social,il est conscient dela nécessité de loger des ménages précaires, mais il a aussi besoin de sécuriser un certain nombre de rentrées financières. Et pour que la perception de ces loyers ait une certaine forme de régularité, le bailleur social aurait tendance à privilégier les ménages qui ne sont peut-être pas ceux qui sont le plus dans le besoin.
Par exemple, il y a un certain nombre de DALO qui devraient être logés dans le logement social et qui ne le sont pas. Parce que les DALO, ce sont des publics très précaires. Et donc, le bailleur social peut préférer d’autres publics avec des revenus un peu plus élevés. Et donc, finalement, les ménages les plus nécessiteux ne sont pas forcément ceux qui vont pouvoir accéder au logement social. C’est une forme de discrimination à l’égard des ménages les plus précaires.
EMMANUEL
Les « DALO » dont parle Sandrine Levasseur, ça fait référence au « droit opposable au logement » : lorsque vous êtes très précaire, vous avez le droit que votre commune vous trouve un logement. Autrement dit, si elle ne vous en trouve pas, c’est elle qui est en faute.
Résumons la situation :
- La moitié des villes françaises concernées par la Loi SRU n’ont toujours pas atteint les 20 % de logements sociaux obligatoires
- Certaines communes préfèrent payer des amendes plutôt que de construire les dits logements
- D’autres parviennent à sélectionner leur population en proposant des logements sociaux qui ne sont pas accessibles aux plus précaires des habitants, c’est à dire ceux qui en auraient le plus besoin.
On arrive à la fin de cet épisode. Vous l’aurez compris, nous sommes effectivement radins enlogements sociaux. On peut même aller plus loin : Est-ce que le but prôné par la loi SRU, la mixité sociale, le vivre ensemble, est atteint ?
CONCLUSION
Et bien pas vraiment. Plus que ça, il est même combattu, avec des communes riches, qui, bien souventrefusent d’ouvrir les portes de leur ville à des populations moins riches qui favoriseraient la mixitésociale.
Or, construire des logements, ce n’est que le premier pas vers la mixité et le vivre-ensemble. Pour y parvenirvraiment, il faut aussi construire des crèches, revoir l’offre de transport, lutter contre le chômage des jeunes… Bref, il y a encore du pain sur la planche. Mais on pourrait au moins commencer par renchérirencore davantage le prix de l’entre-soi, en fixant des amendes plus lourdes, qui permettraient de construiredavantage de logements sociaux.
Splash est une émission de Nouvelles Écoutes.
Elle est présentée et écrite par moi-même, Emmanuel Martin. Cet épisode a été écrit par Marine Raut.
Production et Réalisation : Marine Raut
Mixage : Adrien Beccaria à l’Arrière Boutique Studio