EMMANUEL MARTIN
Bienvenue dans Splash, le podcast qui jette un pavé dans la mare de l’économie.
Aujourd’hui, on va parler d’un problème social qui donne lieu à quantité de promesses électorales, mais à bien peu de succès : la condition des sans-abris.
Les sans-abris, ce sont les personnes qui n’ont pas de logement, et qui se retrouvent à passer la nuitdans un lieu non prévu pour l’habitation – un hall de gare, un parking, ou un trottoir.
Difficile d’estimer leur nombre exact.
La mairie de Paris a essayé de le faire avec une équipe de bénévoles qui a sillonné la capitale en février 2018, eta recensé 3000 personnes dans la ville de Paris. Il fauty ajouter toutes les personnes qui sont prises en charge dans des hébergements d’urgence, de réinsertion sociale, dans des structures pour les demandeurs d’asile en attente, ou encore dans des logements temporaires comme des foyers.
Si on a du mal à évaluer le nombre des SDF, c’est aussi parce qu’on ne parle pas ici d’une populationhomogène et déterminée, mais d’une condition sociale dans laquelle on peut entrer et dont on peutsortir.
C’est ce que m’a expliqué Brendan O’Flaherty, professeur d’économie à l’université Columbia, et l’un des meilleurs spécialistes américains de ce sujet.
Brendan O’Flaherty
Because homelessness is nota pool of people, it is a process and it is a process with great randomness and great surprises in it.
« Parce que devenir sans-abri, ce n’est pas rejoindre un groupe de personnes, c’est un processus, et c’est un processus avec beaucoup de phénomènes aléatoires et surprenants.»
EMMANUEL MARTIN
Pour cette raison, il est difficile de prendre en charge toute une diversité de personnes qui rencontrent chacune des problèmes spécifiques.
Brendan O’Flaherty
You cannot doit by looking at them. You cannot doit by the fa.et you can. This is this is something and you don’t know who it is. You can only establish that there are X number of people by statistical analysis after the fa.et. So program, if you see a homelessness prevention operating, no one has anyidea of how effective they are, but only by careful study of numbers after the fa.et can you find outhow effective they are. »
« On ne peut pas savoir si quelqu’un deviendra sans-abri à l’avance, ce n’est pas marqué sur lui. C’estquelque chose qu’on ne peut pas faire. On peut seulement établir statistiquement, après les faits, qu’il y a un nombre X de personnes qui sont devenues sans-abris. Donc, dans les programmes deprévention du sans-abrisme, personne n’a aucune idée de leur efficacité au moment où ils se déroulent, c’est seulement ensuite que l’on peut voir s’ils ont été efficaces. »
EMMANUEL MARTIN
On va donc se pencher sur les expenences qui permettent effectivement de sortir de la rue les sans-abris qui sont pris en charge.
À partir de ces expenences, peut-on trouver des solutions durables pour les sans-abris ?
- Le problème initial une offre d’hébergements inadaptée, coûteuse et inefficace
Revenons à la France.
Il y a théoriquement une multiplicité de structures qui peuvent prendre en charge les SDF.
Pascale Estecahandy, qui travaille à la DIHAL (la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) les détaille:
Pascale Estecahmtdy :
« L‘offre habituelle, c’est tout ce qui e:xiste dans le système classique pour accompagner les personnes à la rue. Donc, vous avez les maraudes, toutes les maraudes qui vont au contact des personnes qui sont à la rue, les accueils de jour, les hébergements d’urgence, le système hôtelier diverses et variées. Vous avez des maisons relais. Vous avez tout ce qui est dans le domaine sanitaire dédié aux soins de santé et des appartements de coordination thérapeutique. Et puis, après tout, tout le paquet logement accompagné, maisons relais, terrain social. Et puis après, les gens peuvent accéder aussi au logement. Voilà avec des systèmes d’accompagnements diverses et variées. »
El\lliANUEL MARTIN
Les sans-abri, ce sont les personnes qui n’ont aucun logement et qui trouvent une solution comme ilsou elles le peuvent, dans la rue par exemple. Et si l’on veut recenser l’ensemble des SDF (les
« sans domicile fixe »), on peut encore y ajouter toutes celles et tous ceux qui n’ont pas de logementfixe, au sens large :
au total, environ 140 ooo personnes en France en 2012, d’après l’INSEE.
Ce chiffre a beaucoup augmenté depuis 2001 : ilétait alors de 90
ooo personnes.
Être sans domicile fixe, c’est souvent faire des allers-retours entre ces différentes situations : la rue, un hébergement temporaire, ou un hébergement d’urgence…
Mais aussi la prison, en particulier pour les usagers de stupéfiants et pour les étrangers en situation irrégulière.
Et enfin, l’hôpital psychiatrique : entre un quart et un tiers des SDF souffrent d’une affection mentale sévère. Les troubles psychotiques sont huit à dix fois plus répandus chez les SDF que dans lapopulation générale. Donc, parmi les sans-abri, on trouve beaucoup de personnes qui ont une santémentale dégradée, et qui ont besoin de soins.
La réponse traditionnelle à la situation des sans-abri les plus fragiles a longtemps consisté à soigner avant de loger.
L’idée, c’était que l’on ne pouvait pas offrir un logement à des personnes qui allaient s’avérer incapables de payer leur loyer ou d’avoir des relations cordiales avec leurs voisins: il fallait d’abordqu’elles se soignent. Mais c’est une approche assez paternaliste du problème. Et on s’est rendu compte que ça ne fonctionnait pas, tout simplement.
Plus ces personnes sont à la rue, même en étant médicalement suivies ou accompagnées, plus leursproblèmes de santé mentale sont insurmontables.
Non seulement c’est tragique pour les personnes concernées, mais en plus d’être inefficace, ça coûte très cher : autour de 30 ooo euros par an et par personnes
Pascale Estecahandy:
« Donc voilà, ça c’est le coût à l‘entrée. Ça coûte très cher, pour une qualité de vie nulle, des gens qui vont mourir 30 à 45 ans plus tôt que la population générale, dans des conditions déplorables, qui ont des durées de rue de 8 ans en moyenne. Donc investir 35 oooC pour ça, pour la puissance publique,ça n’a aucun intérêt en termes de services rendus. »
EMMANUEL MARTIN
30 ooo € par personne et par an, c’est le genre de sommes que l’on dépense pour traiter un cancer.Mais on y parvient, dans bien des cas!
Àl’inverse, les sans-abri restent à la rue, ou plutôt y retournent fréquemment, même après en être sortis.
Et on n’arrive à résoudre ni les problèmes de santé mentale, ni le sans-abrisme.
Les spécialistes de cette question alertent fréquemment sur le trop grand nombre de dispositifs, de programmes, de structures locales ou, plus rarement, nationales, chacun ayant en charge une petite pm.tie du problème. Et cette dilution des responsabilités n’arrange pas la situation : impossible de faire le point sur ce qui fonctiom1e ou pas.
- Le dispositif Un chez soi d’abord
Tenter de résoudre les problèmes de santé avant de loger les personnes, ça a un nom : le treatment first. Et depuis les années 1990s, et on sait que ça ne marche pas !
Ces mauvais résultats, ça a donné l’idée à l’équipe du docteur Sam Tseberis, un psychiatre de NewYork, de prendre les choses à l’envers: le logement d’abord.
Pour permettre de reprendre pied, de ne plus être en insécurité, d’avoir une vie plus stable, de recevoir du courrier, et même de retrouver un emploi plus facilement, à terme…
Le programme qui a été mis en œuvre à New York dans les années 1990s s’appelle Housingfirst. Et il a ensuite été étendu à d’autres villes, puis d’autres pays.
En France, c’est le docteur Pascale Estecahandy qui a importé ce dispositif. Elle a constitué des équipes pluridisciplinaires : des scientifiques, des professionnels de l’aide sociale, des médecins, des psychologues, des infirmiers, et d’anciens sans-abri qui ont connu la rue et les problèmes de santé mentale. Ces équipes offrent à des volontaires la possibilité d’être pris en charge par un dispositif qui s’appelle « Un chez soi d’abord ». Il a démarré en 2011dans quatre villes : Marseille, Toulouse, Lille etParis.
Pascale Estecahandy:
« Donc, qu’est ce que c’est? Se loger directement depuis la Rue et accompagner avec une méthodologie particulière, intensive et pluridisciplinaire des personnes qui ont plusieurs caractéristiques. La première, c’est qu’elles ont toutes eu un diagnostic de santé mentale, des problématiques de santé mentale sévères. En général, c’est un diagnostic qui relève du champ de la psychose. Elles ont toutesété à la rue, plus ou moins longtemps. Au moment où elles entrent en général,elles sont soit encore à la rue, soit hébergées chez des tiers, soit en hébergement d’urgence. Donc, des gens qui sont très loin de l’insertion. On va dire en tout cas du logement. Il faut qu’elles
soient adultes si on prend des personnes adultes et qu’elles vivent ce qu’on appelle des besoins élevés. »
EMMANUEL MARTIN
Une fois que les personnes volontaires entrent dans le dispositif, elles ont deuxobligations :
Pascale Estecalumdy :
« fl y a juste deux obligations : à partir du moment où elles ont des ressources, on ouvre les droits.Elles ont pour obligation de payer le reste à charge du loyer une fois qu’on a enlevé l’allocation logement. Et puis, la deuxième obligation, c’est de recevoir l’équipe chez elle au moins une fois par semaine ou dans un lieu qu’elles ont choisi dans la cité. »
EMMANUEL MARTIN
Il ne s’agit pas d’hébergements temporaires : les logements sont de petits appartements, disséminés dans la ville – dans le parc locatif privé ou dans des logements sociaux.
Donc, on aide les sans-abris à retrouver un logement, avec une caution versée par l’Etat : ça rassure les bailleurs. Et les personnes concernées reçoivent des aides au logement… Mais elles doivent payer une partie de leur loyer, si elles touchent le RSA ou si elles ont un salaire, par exemple.
Tout ça, ça coûte cher, en particulier parce qu’il faut rémunérer des professionnel-les pour rendre visite et accompagner fréquemment les locataires.
Il faudrait donc que l’on puisse évaluer les coûts et les bénéfices engendrés par « Un chez soi d’abord ». Et ça tombe bien : cette évaluation a été faite.
- Les résultats observés
Comme dans le cas américain, et au Québec, le programme« Un chez soi d’abord » a donné lieu à un essai clinique randomisé, pour en mesurer les résultats. En deux mots, c’est le genre de méthodesqu’on utilise beaucoup en économie du développement
(on en a parlé dans un autre épisode de Splash). On prend un échantillon de personnes – ici, des personnes sans-abri – et on tire au hasard deuxgroupes de taille égale. L’un des deuxgroupes est pris en charge par les dispositifs habituels, et l’autre groupe accède à « Un chez soi d’abord ». C’est, au départ, la même population, avec des caractéristiques semblables. Donc, si l’on observe des résultats différents entre les deux groupes, c’est seulement l’effet de l’entrée dans le dispositif, ou non.
Commençons par les coûts. Vous vous souvenez qu’un sans-abris qui a de graves problèmes de santémentale coûte environ 30 ooo
€ à la collectivité par an? Eh bien dans le programme« Un chez
soi d’abord», ces coûts sont réduits de moitié.
Pascale Estecahandy :
« C’est le coût sur notre cohorte, qui était encore assez particulière quand même, et au bout de 24mois, dans l’offre habituelle, on est à peu près sur les mêmes coûts et dans « chez soi », on a quasiment diminué de moitié. Et comme le coût du programme coûte 14 ooo, quand on ajoute les deux…
Alors après, on a aussi tenu compte de l’APL, et on a pris des coûts moyens en plus. Parce que, c’est pareil en termes d’hospitalisation, on était vraiment au coût moyen. Et donc on a montré ça, si vous voulez, que sur le plan médico-éco, on était efficace. »
EMMANUEL MARTIN
Ce qu’explique Pascale Estecahandy, c’est que les locataires de« Un chez soi d’abord » sont moins prisen charge par les hôpitaux, les tribunaux, et les structures d’accueil temporaires. Et, ça occasionne moins de dépense publique.
Gardez aussi en tête qu’ils payent une partie de leur loyer : ils touchent le RSA, par exemple, et parfois même ils ont un emploi qui leur permet de gagner un revenu d’activité. Comprenez ici que l’argent dépensé dans le programme est au total plus faible que les économies qu’il permet.
Mais il faut aussi tenir compte des bénéfices. Et ils sont très parlants: au bout de 6 mois, les personnesqui ont bénéficié de ce programme sont encore dans un logement pour les trois quarts d’entre elles,contre 10% pour celles qui n’y ont pas accès.
Et ce résultat se vérifie encore six mois plus tard, puis douze mois plus tard.
Ça confirme une étude faite par Keresz et Johnson, deux économistes qui ont compilé, en 2017, desdom1ées sur les programmes housing first dans différents pays: au bout de deux ans, les groupes pris en charge par ces programmes gardent un logement deux à trois fois plus souvent que ceux qui n’yont pas accès.
Et un logement, c’est le premier pas vers une meilleure insertion.
OK, on prend donc en charge beaucoup mieux des gens qui en ont absolument besoin. Mais est-cequ’on n’est pas en train de les installer dans une situation dont ils auront du mal à sortir ? Est-ce qu’on observe effectivement des réinsertions, un retour à l’emploi, des locataires qui gagnent un revenu régulier de manière autonome ? Ont-ils moins besoin d’être accompagnés ?
Pascale Estecahandy :
« Après, il n’y a aucune durée à priori d’accompagnement. Certes, il va y avoir des gens quivont être accompagnés très longtemps parce que leurs difficultés sont majeures, c’est très compliquépour elles. Ou alors, elles sont trop instables sur le plan de la maladie. Mais on peut avoir desgens qui, rapidement, finalement, n’ont plus besoin de l’équipe, ou trouvent ailleurs. Voilà donc,notre objectif,c’est d’avoir un tum over autour de 15 % à partir du moment où on est en plein régime. C’est pas si simple que ça. »
EMMANUEL MARTIN
Un turn-over de 15%, ça signifierait que 15% des locataires entrent dans ce programme et en sortent. Pour l’instant, dans le cas français, on a encore peu de recul : l’expérimentation a été mise en place en 2011, puis étendue à d’autres villes en 2016, et elle est en cours de déploiement aujourd’hui.
Au total, ce sont environ 1200 personnes qui sont touchées – et l’objectif est d’atteindre 2800 locataires, sur environ 140000 SDF. Et dans le détail, l’accompagnement des locataires repose sur du cas par cas.
Difficile de voir les effets à terme, même dans l’article de Keresz & Johnson que je citais pour hautBrendan O’Flaherty confirme que le programme housing first fonctionne bien pour ses bénéficiaires… mais qu’on n’en sait pas plus.
Brendan O’Flaherty
Whether a persan who is homeless now becomes not homeless in the future, then Housing First has a very good record and is one of the few interventions that hasa good record in how we think of as the fiduciary sense that if you have if you have a friend who is homeless, they should be one of the bestthings for them is to be involved in it in a housing first program. If you mean a reduction in the number of people who are homeless at any one point in tüne, then we do not know whether whether housing first does that or not.
« Si on s’intéresse au cas d’une personne sans-abri maintenant, et au fait qu’elle ne reste pas sansdomicile, alors housingfirst a de très bons résultats. Au sens où si vous avez une amie sans-abri,l’une des meilleures choses qui puisse lui venir en aide est d’être prise en charge par un programme housingfi.rst. Mais si vous voulez parler d’une réduction du nombre de personnes qui sont sans-abris à une date donnée, alors on ne sait pas si housing first permet cela, ou pas. »
EMMANUEL MARTIN
Si l’on ne peut pas conclure sur ce point, c’est notamment parce que le nombre de personnes pris en charge par ce dispositif est encore faible.
3. Un dispositif qui pourrait être étendu ?
Est-ce que ce progran1me pourrait être étendu à d’autres populations ?
Pascale Estecahandy :
« Le principe aussi,quand Bachelot a dit d’accord, c’était de dire si ça marche pour les plus graves,ça marchera pour les autres. Et donc, dans le même temps, on a travaillé sur le Logement D’abord, il ya le plan logement d’abord, qui est en cours. Et là, tout récemment, le service public de la rue aulogement. Donc, en gros, le plan logement d’abord,c’est de dire quoi? C’est,si on est sur une population générale de gens qui relève du service de l’accueil hébergement insertion, des sans domicile au sens large, ce n’est pas simplement le focus. Il faut une politique sur plusieurs axes. »
L’Etat n’offrira pas les mêmes solutions aux camps de migrants qui rassemblent des centaines de personnes (cherchant pour certaines à quitter la France) et à des jeunes déscolarisés qui se retrouventà la rue faute de revenus réguliers. Les sans-abri, et
plus généralement les SDF, c’est une population très composite, qui a pour seul point commun de nepas avoir de logement digne de ce nom. On peut commencer par construire plus de logements, et occuper les logements vides – c’est l’une des réponses. Ne serait-ce que parce que ça fait baisser lesloyers, et comme le dit Brendan O’Flaherty:
Brendan O’Flaherty :
Brendan O’Flaherty[oo: 02: 03] Lower rents, reduce homelessness, lower average rents, reduce homelessness, and to a certain extent, a better economy reduces homelessness. To a certain extent. You know, those are the main things for which there is good evidence.
« Des loyers plus bas, ça réduit le nombre de sans-abri. Des loyers moyens plus bas, ça joue un rôle. Une économie plus dynamique, ça réduit le nombre de sans-abri. Ça, ce sont les choses sur lesquelleson a le plus de données.»
EMMANUEL MARTIN
On peut aussi agir avec les collectivités locales, pour leur montrer comment développer des solutionsspécifiques pour les sans-abris qui ont une santé mentale dégradée, et pour d’autres sans-abris au profil différent.
Il y a aussi d’autres programmes, très récents, consistant à distribuer de l’argent liquide aux sans-abri,et à les laisser choisir ce qu’ils en font. Et à votre avis, est-ce qu’ils vont acheter de la drogue ou de l’alcool avec? Pasdu tout:
Brendan O’Flaherty :
‘Now, since then since then, a group in Vancouver, I believe, conducted a small experiment inVancouver in which they gave homeless people money and it was a randomized control trial. So theyrandomly selected some homeless people to give money and they were randomly selected, some not to.They followed them or over a year or so. And it was quite successful that there was a significant reduction in homelessness arnong the people who received the rnoney and no significant increase in substance abuse or alcoholisrn. »
« Depuis peu, un groupe de recherche à Vancouver a conduit une expérimentation, dans laquelle ilsont donné de l’argent à des sans-abri. C’était un essai contrôlé randomisé. fls ont donc
sélectionné au hasard certaines personnes à qui ils ont donné de l’argent, et d’autres non. Ils les ont suivies pendant un an environ. Et les résultats sont bons : on a vu une réduction significative du nombre de sans-abri, et pas d’augmentation significative de l’usage de drogues ni de l’alcoolisme. »
EMMANUEL MARTIN
Cette expérience date de 2018, etelle est testée aujourd’hui à une plus large échelle. Elle rejoint les conclusions d’autres expérimentations, menées par les équipes du laboratoire d’Esther Duflo etAbhijitBanerjee, par exemple: le meilleur moyen d’aider les pauvres à sortir de la pauvreté, c’est de leur donner de l’argent, sans contreparties et en les laissant choisir la manière dont ils et elles l’utilisent.
Ce qu’il y a de très encourageant dans ce genre de programmes, comme dans « Un chez soi d’abord »,c’est qu’il s’agit de dispositifs qui ont d’ores et déjà porté leurs fruits. Pour cette raison – et parce qu’ils ont donné lieu à une évaluation très serrée – c’est très convaincant. À la fois pour les bailleurs sociaux, pour le grand public, et même pour des responsables politiques. Or ce sont eux qu’il faut convaincre de délier les cordons de la bourse, alors que les SDF ne votent pas et sont très mal représentés politiquement.
Faire connaître ce type d’expérimentations, et suivre leurs résultats, c’est une bonne manière de contribuer à changer le discours sur les sans-abri, souvent très défaitiste. Même pour celles et ceux d’entre eux qui sont les plus fragiles, il y a des solutions qui fonctionnent vraiment.
Conclusion
Alors, est-ce qu’on peut parvenir à zéro SDF? Sans doute pas: il y a des raisons très différentes pour lesquelles des personnes se retrouvent à la rue. Mais on peut agir sur beaucoup d’entre elles. La bonnenouvelle, c’est qu’on a de plus en plus de données sur les programmes qui fonctionnent.
Maintenant, il faut les faire connaître, et les élargir à un plus grand nombre de personnes concernées.
L’obstacle principal qu’il reste, ce sont les préjugés des responsables politiques.
Il faut leur faire dépenser de l’argent public pour une population qui ne vote pas. Et ce sont des effortsqui rapporteront, mais des années plus tard seulement. On arrivera peut-être à loger un maximum de SDF, le jour où on aura vaincu les résistances des politiques.