AYA- Moi, c’est Aya, j’ai 23 ans. Mes pronoms sont iel, accord masculin et mon rapport à la Manif pour tous… Disons que c’estun très mauvais souvenir. Et puis il y a beaucoup de colère aussi. LOUISE – Je m’appelle Louise, mes pronoms c’est elle et iel. J’ai 22 ans et mon rapport à la Manif pour tous : de mauvaissouvenirs, des traumas je pense aussi. Et de très mauvais rapports avec une famille ultra catholique. JULIE – Et moi, c’est Julie,j’ai 28 ans, mes pronoms c’est elle et mon rapport à la Manif pour tous c’est ce qui signe ma sortie de ma famille. C’est ce qui signe l’arrêt de la relation avec ma mère et la fin de la rupture de tout lien avec la religion. AUGUSTIN – Et moi, c’est Augustin. J’ai 19 ans, mes pronoms c’est il, et la Manif pour tous pour moi c’est un moment, au début de l’adolescence, où j’ai accumulé beaucoup de violences contre la communauté LGBT et du coup contre moi-même.Et donc, ça a eu beaucoup de conséquences, plus tard, dans ma construction. VOIX FÉMININE – Si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela, gardez la tête haute, vous n’avez rien à vousreprocher. Les vérités tuent, celles que l’on tait deviennent vénéneuses. ROZENN -Augustin, est-ce que tu veux expliquer ce qui t’a donné envie de les réunir, de vous réunir tous aujourd’hui? AUGUSTIN – Eh bien ça fait quelques années que je réfléchis sur le fait que je suis allé à la Ma.nif pour tous et que jepeux en parler avec personne qui l’a fait aussi. C’est-à-dire que je m’adresse à des gens qui sont tolérants, qui acceptent de m’entendre et tout ça, mais qui l’ont pas vécu. Etdonc,j’avais à cœur quand même de rencontrer des gens et de créer un réseau d’échanges et de contacts et sûrement de soutiens aussi entre personnes qui l’ont vécu. Pour moi, c’était important qu’on puisse se réunir. Et aussi, c’est important d’entendre, d’entendre plusieurs témoignages parceque l’on n’a pas tous et toutes vécu de la même manière. Les familles n’ont pas eu la même réception et donc il faut entendreune multitude de témoignages pour avoir pour se faire un avis fondé sur ce que c’était la Manif pour tous pour les personnes LGBTQIA+. JULIE – Juste pour préciser le truc, donc moi, j’ai pas votre âge, je suis un peu plus vieille. Moi j’ai pu m’opposer à ma mèrequand elle m’a demandé de participer. Parce qu’à l’époque,j’avais 18 ans et j’ai écrit une longue lettre au prêtre de la paroisse pour lui expliquer pourquoi c’était pas OK d’appeler à marcher et ensuite je suis partie de chez moi. De chez ma mère et de ce jour-là,je n’ai plus jamais reparlé à mes amis de l’époque. J’ai pasexactement le même vécu dans le sens où moi on m’a pas emmenée là-bas donc je suis peut-être un petit peu plus chanceuse de ce côté-là. LOUISE – Moi pour rebondir à ce que t’as dit,je nesuis pas allée aux manifestations, mais en gros moi ça a vraiment été un mouvement sur plusieurs années qui s’est installé dans les vies des familles de la paroisse. Et du coup, dans ma vie aussi,etje suis amené à beaucoup plus de choses derrière. Beaucoup ont été bien pires que les violences pendant la manif, qui on pu mener à différentes ‘fin une demande d’investissement énorme dans tout ce qui est des servants d’autel, scoutisme ou je me faisais bien tabasser, et ce qui a mené aussi à des thérapies de conversion, ce qui a aussi mené à un harcèlement massif par plein de gens au lycée. Et la violence dans la famille aussi beaucoup. JULIE – Toi t’avais quel âge? LOUISE – J’étais en fin collège sije me trompe pas. JULIE – Donc aucune possibilité de partir de toi-même en fait. C’est vraiment un âge où tu doisvivre chez tes parents donc t’es pas… tu peux pas claquer la porte quoi. LOUISE – Bah en fait mon père est très vite parti pour divers problème psy et de toxicomanie. C’est un détail important parce que c’est un truc qu’on m’a mis sur le dos pour me faire comprendre que c’est juste un trauma l’homosexualité ou autre et quec’était juste lié à ça. Bah ma mère, c’est à ce moment-là aussi qu’elle s’est rapprochée de mouvements comme la communauté deSt Jean. Elle est tombée dans une paroisse qui était en fait une secte et aussi du coup la communauté de l’Emmanuel. Et puis yavait une pression immense, comme si je devais être un pilier qui devait être tout le temps là, mais quand c’était pas ça, c’étaitviolence sur violence… Donc ouais, moi c’est pas les Manif, ‘finje l’ai pas vécu par la Manif mais plus par le mouvement qui s’est inséré dans toute cette communauté catholique. AYA- Moi,je l’ai vécu par les manifs, mais les manifs, c’est.. à monavis en tout cas, c’est vraiment la partie émergée de l’iceberg,en fait Parce que, comme tu disais Louise, la violence, elle était partout en fait Enfin la violence contre nous, elle n’était pas justedans les manifs. En manifs elle était visible en fait, enfin elle était à visage découvert. Alors que nous, dans nos églises, dans lemilieu protestant, c’était beaucoup plus… à demi-mot Dans l’église de mes parents, il y a des groupes pour les jeunes où on va,donc il n’y a pas de catéchisme et c’est un peu l’équivalent, mais pendant le passage du culte, il y a une partie où les enfants s’envont pour avoir leur propre groupe. Et en gros, c’était aussi dit à demi-mots dans ce moment-là, on a eu beaucoup plus dethématiques sur la famille, sur l’importance du mariage, sur l’importance de l’abstinence, sur l’importance de venir parler à unadulte si on avait des pensées déviantes. Et c’était vraiment insidieux. C’est-à-dire que les manifs, moi, j’en ai fait une. Onm’a amené à une manif et oui, c’était violent, mais c’était violent à visage découvert. C’était pas violent en sous-main commec’était le reste du temps en fait. JULIE – Et moi il y a quelque chose que je me demande en vous écoutant tous parler, est-ce que vous saviez déjà à l’époque que vous étiez queer? Parce qu’en fait moi,je le savais pas. Moi je savais pas que j’étais lesbienne et en fait, moi si j’en veux à la Manif pour tous et de façon plus générale, à la façon très traditionnellement catholique par laquelle j’ai été élevée par ma mère, si j’aiaccumulé énormément de colère contre tout ça, contre tout cetordre établi, c’est parce qu’en fait, moi, ça m’a privée d’une partiede moi pendant des années, c’est-à-dire que j’ai toujours été dans des écoles catholiques. On allait à la messe tous les dimanches :bénédicité avant chaque repas, ‘fin je vous apprends rien, les scouts… La totale, vraiment. Mes frères, ils étaient enfants de chœur. Moi,je chantais tous les dimanches à l’église. Tout ça pour dire que j’ai… je ne suis pas beaucoup sortie de ce moule-làavant de partir à 18 ans. Et en fait,je n’ai donc connu que des gens comme ça, que des gens qui nous ressemblaient. Et parexemple, dans mon école, il y avait… il n’y avait pas… Si, bien sûr, qu’il y en avait, aujourd’hui,je m’en rends compte, mais en tout cas, il y a avait une invisibilisation totale du fait qu’on pouvait être autre chose que cis hétéro. Et en plus de ça, cis hétéroblancs parce que moi, j’ai grandi à Bordeaux et que franchement, dans les écoles catholiques à côté de Bordeaux, pas beaucoup de personnes racisées. Donc, en fait, ‘fin c’était vraiment que des gens comme nous. Je pensais comme moi et moi,j’ai attendud’être… arrivé à Paris à 25 ans. J’avais un mec, à ce moment-làje pensais que j’étais hétéro etje rentre dans une soirée et en fait,elle est là, en face de moi, et là mon monde il s’écroule, vraiment, parce que je me dis « Mais putain mais c’est ça en fait, c’est çadepuis le début ». Et en fait, j’avais 25 ans et là, et vraiment, j’étais déjà très en colère contre ma mère à cette époque-là. Mais depuis trois ans que du coup je suisavec des filles, c’est décuplé en fait. LOUISE – Pour te dire moi, du coup,je l’ai toujours su enfin depuis toujours, mais je l’ai toujours refoulé. En plus, quandj’étaisenfant,je me voyais femme quandj’étais adulte. J’avais une vision de… enfin bref c’était bizarre et est arrivée à ce moment où j’étais à Lourdes pour le pèlerinage de ma confirmation avec tous les jeunes du diocèse. Et il y a eu la musique « Only Girl » deRihanna et je me suis mise à danser dans le bus avec des copines. Il y a une fille qui m’a regardé et elle me fait « mais Louis t’espédé » et là,j’ai euun déclic en mode: « Tu peux plus te le cacher j’ai compris ». Et en fait, les gens l’ont avant que moi,je me disebah c’est bon,je peux l’accepter. Tout l’entourage a pris le relais et a fait en sorte que je ne puisse pas le réaliser, l’accepter. JULIE – Moi j’ai une question. Augustin, tu penses quoi, toi en nous entendant tous et toutes? AUGUSTIN -Mais je pense à plein de choses. Je pense à plein de choses. Ça m’émeut beaucoup parce que c’est plein de peineset de souffrances, et aussi de courage. Je pense qu’il faut pas avoir peur de se considérer comme une victime parce que c’est… c’estpas non plus un statut qu’on se donne qui est définitif. Mais je pense qu’il faut passer par la case de se dire qu’on a été victime dequelque chose pour après, essayer de penser à quel point on est plus forts ou plus fortes que ça. Et donc, oui, on est des victimes. On a des grosses vicos de la Manif pour tous et du milieu dans lequel on a grandi. Sauf qu’on en est sorti, qu’on a trouvé lemoyen d’être plus intelligent et plus intelligente que tout ça. Et qu’aujourd’hui, on se débrouille mieux que… que les gens quivont rester enfermés dans tous ces modes de pensée-là qui nous ont détruit. ROZENN – Et et par quoi est passé ou passe encore la reconstruction pour vous aujourd’hui? Aya. AYA- Déjà basiquement, par une thérapie. Personnellement,je suis suivi. Après, ça passe aussi… moi personnellement par de ladiscussion avec mes parents. Je pense que ma reconstruction à ce niveau là était peut-être plus simple que beaucoup de gensparce que mon père fait un travail sur lui et que mon père s’est excusé de certaines choses qui se sont passées. Etje sais, au-delàdes excuses, que mon père regrette profondément certaines choses qu’il a faites. Et ça, je pense que c’est une chanceinestimable parce qu’on a pas tous et toutes la chance d’avoir des parents qui sont capables de prendre du recul sur eux, des’excuser et juste de faire leur propre autocritique. Et ce qui m’a beaucoup aidé aussi, c’est de trouver une autre communauté àun autre endroit où je puisse être entouré et où je puisse être écouté et entendu. Ça, je l’ai trouvé de façon globale on va dire dansla communauté LGBT et de façon plus générale, dans la communauté polyamoureuse. JULIE – Je pense que ça s’est passé en deux étapes. Tout a été très simultané parce que donc je suis partie de chez moi je venaisde passer le bac et en fait j’ai commencé des études dans la culture et donc j’ai rencontré des gens qui me ressemblaient. Et là, je me suis un peu dit « Ah, en fait, c’estpossible. » Donc c’est surtout passé par un long travail de déconstructionoù, en rencontrant des gens qui ressemblent à ce que jesuis aujourd’hui. J’ai puvoir qu’il y avait d’autres façons d’exister, qui étaient possibles. Et ensuite, la deuxième étape, c’est quand j’ai rencontré ma première copine. Et là, effectivement,la communauté LGBT elle aété d’une grande aide. C’est très bête, mais en fait, ça passe